Ce 24 août 2021, le Maroc et l’Algérie ont annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques et commerciales. L’une des victimes collatérales de cette décision est le gazoduc Maghreb-Europe, qui achemine le gaz naturel algérien en Espagne, via le Maroc. Or, l’Algérie a annoncé qu’elle ne reconduirait pas le contrat de ce gazoduc, qui arrive à échéance le 31 octobre 2021. Tout en garantissant qu’elle fournirait à l’Espagne les mêmes quantités de gaz naturel, via un second gazoduc, qui ne passe pas par le Maroc. Aujourd’hui, l’Espagne veut se poser en médiateur entre les deux voisins.
Le gaz naturel se retrouve au centre d’une crise diplomatique majeure entre l’Algérie et le Maroc, où l’Espagne est à la fois victime collatérale et partenaire privilégié. Les tensions entre l’Algérie et le Maroc ont en effet atteint une acmé cet été 2021, provoquant une rupture des relations diplomatiques et commerciales entre les deux voisins, le 24 août 2021.
L’Algérie devrait fermer le gazoduc Maghreb-Europe le 31 octobre 2021
Dans la foulée, l’Algérie a annoncé qu’elle ne prolongerait pas l’accord trinational concernant de gazoduc Maghreb-Europe (GME), qui arrive à échéance le 31 octobre 2021. Ce gazoduc, mis en service en 1996, relie le gisement algérien Hassi R’mel à Cordoue, en Espagne, via le Maroc et le détroit de Gibraltar. Sa longueur totale de 1 300 km se répartit ainsi : 520 km en Algérie, 540 km au Maroc, 45 km en pleine mer, 270 km en Espagne. Sa capacité est de 13,5 milliards de m3 par an.
Ce gazoduc permet à l’Algérie d’exporter du gaz naturel en Espagne et au Portugal. Plus de 50% du gaz consommé en Espagne provient d’ailleurs d’Algérie. En vertu de l’accord de 1991, le Maroc reçoit un « droit de passage » sur ce gazoduc, payé en livraison de gaz naturel. Selon les analystes, ce gaz algérien permet au Maroc de produire entre 9 et 12% de son électricité. La décision algérienne revient à fermer ce robinet de gaz.
Un second gazoduc permettra de fournir l’Espagne en gaz naturel algérien
Mais un second gazoduc, Medgaz, relie aussi l’Algérie à l’Espagne, via la Méditerranée, sans passer par le Maroc. Medgaz est déjà majoritaire dans la fourniture de l’Espagne en gaz algérien. « L’Algérie a exporté 9 milliards de m3 en Espagne en 2020, et jusqu’à 17 milliards de m3 annuels auparavant. Nous estimons que 60 % de ces volumes ont été exportés à travers Medgaz, et 40 % via Maghreb-Europe donc en passant par le Maroc », précise l’analyste Pravi Joshi, responsable Afrique du Nord chez le Rystad Energy.
L’Algérie veut donc désormais s’appuyer exclusivement sur Medgaz pour approvisionner l’Espagne, sans plus fournir de gaz au Maroc. Début septembre 2021, le PDG du groupe Sonatrach, Toufik Hakkar, a d’ailleurs précisé que la mise en service d’une quatrième unité de pression de gaz à Beni Saf allait porter les capacités d’exportation de Medgaz de 8 à 10,5 milliards de m3 par an.
Mi-octobre 2021, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a donc d’ailleurs précisé que « l’Espagne ne sera plus approvisionnée via le GME ». « Nous possédons notre propre gazoduc à 51% algérien et 49% espagnol et avec lequel nous approvisionnons l’Espagne en gaz. Nous n’avons plus besoin de l’ancien gazoduc », détaille le chef de l’Etat algérien.
Discours rassurants coté espagnol et algérien, dans un climat de crise énergétique
Pour autant, face à la pénurie de gaz naturel en Europe et à la flambée des prix, l’Espagne peut légitimement s’inquiéter pour son approvisionnement en gaz naturel, surtout à la veille de l’hiver. Abdelmadjid Tebboune s’est, là aussi, voulu rassurant : « Nous avons convenu avec le pays ami l’Espagne de l’approvisionner en gaz. Si un problème d’approvisionnement survient, tous les méthaniers seront chargés de GNL et dirigés vers l’Espagne ».
Une vision confirmée par le ministre des affaires étrangères espagnol, José Manuel Albares Bueno, lors d’une visite à Alger : « Concernant l’énergie, j’ai reçu la garantie d’Alger pour l’approvisionnement adéquat de l’Espagne en gaz. Il y a un engagement de la partie algérienne à satisfaire la demande espagnole ».
Le Maroc n’affiche officiellement aucune inquiétude
Coté marocain, les discours officiels indiquent que le Royaume n’a pas besoin du gaz algérien, et dispose de suffisamment de centrales au charbon pour faire face à sa demande en électricité à court terme, et trouvera d’autres fournisseurs de gaz à moyen terme. Un haut-fonctionnaire marocain a d’ailleurs récemment déclaré, sous couvert d’anonymat, que le Maroc et l’Espagne étaient en négociation pour inverser le flux du GME, afin de permettre à l’Espagne de fournir le Maroc en gaz naturel.
Ce même fonctionnaire indique que le Maroc a déjà accordé des autorisations aux importateurs de gaz naturel en cas de non-renouvellement de l’accord sur le GME.
L’Espagne en médiatrice
Dans le même temps, l’Espagne a décidé de se poser en médiateur dans la crise qui oppose les deux voisins. «Le Maroc et l’Algérie sont deux partenaires stratégiques pour l’Espagne. Ce sont deux pays voisins, deux pays amis. Nous voulons que nos partenaires aient la meilleure relation, et ce que nous allons essayer, c’est de travailler avec les deux pour réaliser une zone de prospérité commune en Méditerranée occidentale», a affirmé José Manuel Albares dans une interview au quotidien El Periodico.
Le ministre des Affaires Etrangères a coché la date du 29 novembre, date à laquelle l’Espagne organise une réunion ministérielle de l’Union pour la Méditerranée. Il espère ainsi « que l’Algérie et le Maroc participeront à la réalisation d’une Méditerranée prospère». Cette réconciliation est clairement dans l’intérêt de l’Espagne, au moins pour sécuriser son approvisionnement en gaz naturel.