Dans le cadre de l’escalade de tensions entre la Biélorussie et l’Union Européenne, sur fond de crise des migrants à la frontière polonaise (Bruxelles accuse Minsk de l’instrumentaliser), le président biélorusse Alexandre Loukachenko a menacé, en cas de sanctions européennes accrues, de « couper le gaz » à l’Union Européenne, en fermant le gazoduc Yamal-Europe. Faut-il prendre cette menace au sérieux ?
La crise entre la Biélorussie et l’Union Européenne prend la forme, en ce mois de novembre 2021, d’un afflux de milliers de migrants à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne (donc l’Union Européenne), encadrés par des soldats biélorusses. Des tentatives de franchissements en masse ont déjà eu lieu.
Une crise diplomatique d’ampleur entre la Biélorussie et l’Union Européenne
L’Union Européenne accuse Minsk d’avoir organisé cette arrivée de migrants (notamment en leur délivrant des visas) pour mettre la pression sur Bruxelles pour qu’elle lève les sanctions décidées en 2020 après la brutale répression de manifestations pro-démocratie en Biélorussie. Ces dernières faisaient suite à la réélection, hautement contestable et contestée, du président Alexandre Loukachenko (que l’Union Européenne ne reconnaît toujours pas comme légitime).
« L’instrumentalisation des migrants dans un but politique est inacceptable« , a jugé la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen. L’Union Européenne s’apprête donc à prendre de nouvelles sanctions contre la Biélorussie et les compagnies aériennes étrangères soutenant cet afflux de migrants. Les hauts-dirigeants biélorusses pourraient être interdits de séjour en Union Européenne et l’UE pourrait bloquer l’exportation de potasse, nécessaire à la production d’engrais, dont la Biélorussie est le second exportateur mondial.
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko menace de fermer le gazoduc Yamal-Europe
A ces possibles sanctions, Alexandre Loukachenko a réagi en menaçant, ce 11 novembre 2021, de bloquer l’arrivée du gaz russe par le gazoduc Yamal-Europe, qui transite par la Biélorussie : « Nous chauffons l’Europe et ils menacent de fermer la frontière. Et qu’est-ce qui se passerait si nous coupions le gaz naturel qui va là-bas ? Je conseillerais donc aux dirigeants polonais, aux Lituaniens et aux autres écervelés de réfléchir avant de parler », a affirmé l’autocrate.
Cette déclaration a reçu un écho particulièrement fort, dans un contexte où les prix du gaz naturel dans le monde, et en particulier en Europe, ont atteint un pic en octobre 2021 et demeurent particulièrement hauts (aux alentours de 60 euros le mégawattheures).
La Russie rassure l’Union Européenne sur son approvisionnement en gaz
Si la menace d’Alexandre Loukachenko a atteint son but médiatique, la Biélorussie peut-elle la mettre à exécution ? Et, quand bien même le ferait-elle, aurait-elle un quelconque impact sur la fourniture de gaz naturel russe dans l’Union Européenne ?
Géré par Gazprom et long de 2 000 kilomètres, le gazoduc Yamal-Europe relie la Russie à l’Allemagne via la Biélorussie et la Pologne. D’un point de vue géopolitique, fermer les vannes serait une très mauvaise opération pour Alexandre Loukachenko. Il s’aliénerait en effet non seulement l’Union Européenne, qui demeure un partenaire économique de premier plan pour Minsk, mais aussi la Russie, son principal allié à l’échelle internationale.
La Russie a d’ailleurs immédiatement réagi en rassurant les Européens. Ce 12 novembre 2021, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a ainsi affirmé que la Russie « est et restera un pays qui remplit toutes ses obligations de livraison de gaz aux consommateurs européens ».
L’Union Européenne n’a pas besoin de Yamal-Europe pour se fournir en gaz russe
De toute façon, fermer ce gazoduc aurait un impact extrêmement limité sur l’approvisionnement européen en gaz naturel. En effet, comme l’explique à Marianne Nicolas Mazzucchi, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique spécialiste de l’énergie, « depuis les guerres gazières russo-ukrainiennes, la Russie s’est employée, avec NordStream, NordStream 2 et TurkStream, à pouvoir fournir du gaz en contournant potentiellement l’Ukraine. Ces gazoducs ne passent pas par la Biélorussie. De sorte que la capacité d’approvisionnement théorique de l’Union européenne par rapport au gaz russe est largement excédentaire par rapport à sa consommation réelle ».
De plus, les gazoducs fonctionnent à double sens. Si la Russie veut fournir du gaz à la Pologne, elle peut l’envoyer à l’Allemagne par NordStream, puis utiliser Yamal-Europe pour fournir Varsovie.
Pologne et Lituanie veulent sortir de leur dépendance au gaz russe
Enfin, Pologne et Lituanie tentent actuellement de se défaire de leur dépendance au gaz russe. La Pologne a notamment construit à Swinoujscie son propre terminal de gaz naturel liquéfié, afin de pouvoir réceptionner des méthaniers venus du Qatar, de Norvège ou des Etats-Unis. Varsovie a même annoncé qu’elle ne reconduirait pas son contrat avec Gazprom, qui arrive à échéance en 2022.
L’impact d’une telle coupure serait donc très réduit. Il pourrait produire une ponctuelle hausse des prix du gaz, problématique dans le contexte actuel, mais qui ne durerait pas. Nicolas Mazzucchi estime même que « cette menace conforte ses différentes cibles dans leurs choix : sortir de la dépendance au gaz russe pour les Polonais et les Lituaniens, et construire NordStream 2 pour s’alimenter directement en gaz russe pour l’Allemagne ».
La Biélorussie ne « trahira » jamais le grand frère russe sur le gaz naturel
En clair : Alexandre Loukachenko ne mettra jamais cette menace à exécution. Vladimir Poutine ne le laissera pas prendre la main sur la ressource clé de la géopolitique économique russe. En se rappelant que certains analystes et eurodéputés accusent le Kremlin de limiter volontairement sa fourniture de gaz naturel à l’Union Européenne, pour tirer les prix vers le haut et mettre la pression à Bruxelles, on peut même se demander si cette menace n’a pas été lancé en accord avec Moscou.
La Russie a justement organisé plusieurs exercices de ses bombardiers nucléaires dans le ciel biélorusse cette semaine, indiquant clairement son soutien indéfectible au régime d’Alexandre Loukachenko. Et ce dernier sait très bien qu’il ne peut pas jouer avec le gaz sans l’autorisation du grand frère russe.