Le gouvernement ukrainien et ses alliés occidentaux accusent la Russie d’avoir massé des troupes à la frontière ukrainienne, dans l’optique d’envahir le pays, au début de l’année 2022. Moscou continue de nier toute velléité belliciste. Dans cette lutte d’influence, où la communication et l’intimidation règnent en maître, l’Allemagne vient d’abattre une carte stratégique : celle du gazoduc Nord Stream 2. La nouvelle cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, a ainsi affirmé que cette infrastructure, aussi controversée que stratégique, ne sera pas autorisée à fonctionner en cas de nouvelle « escalade » en Ukraine.
La construction du gazoduc Nord Stream 2 est achevée depuis septembre 2021, mais sa mise en service reste encore incertaine. Et la crise diplomatique et militaire entre la Russie et l’Ukraine pourrait l’enliser encore davantage.
Nord Stream 2, un gazoduc voulu par l’Allemagne et la Russie, pour sécuriser l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe
Nord Stream 2 relie la Russie à l’Allemagne, par la Mer Baltique, donc sans passer par la Biélorussie, l’Ukraine ou la Pologne. Ce gazoduc double Nord Stream, premier du nom, entré en service en 2012, et doit multiplier par deux les capacités de transport de gaz naturel entre la Russie et l’Allemagne.
Le projet, très critiqué, a fait l’objet de nombreuses sanctions, notamment de l’Union Européenne et des Etats-Unis. De son coté, l’ex-chancelière allemande Angela Merkel l’a soutenu de tout son poids diplomatique, car il permet de sécuriser les approvisionnement en gaz naturel de l’Europe. Le président russe Vladimir Poutine, à l’initiative du projet, y voit un moyen de renforcer les débouchés de sa principale matière première, tout en renforçant la dépendance de l’Europe, et en particulier de l’Allemagne, au gaz naturel russe.
L’Agence fédérale allemande des réseaux suspend son approbation de Nord Stream 2
L’accroissement de cette dépendance est la principale raison qui pousse les Etats-Unis ou certains pays de l’Europe de l’Est, Pologne en tête, à s’opposer au projet. L’Ukraine, jusqu’ici pays de transit incontournable pour le gaz naturel russe, craignait par ailleurs de voir sa position économique et diplomatique affaiblie par ce projet.
La fin des travaux et le remplissage des conduits n’ont pas pour autant permis de programmer une mise en service de Nord Stream 2 : le 16 novembre 2021, l’Agence fédérale allemande des réseaux a en effet suspendu son approbation au gazoduc, car le consortium qui le gère n’est pas organisé sous forme juridique du droit allemand, et parce que l’exploitation et la distribution du gaz naturel ne sont pas séparés, en contradiction avec la directive européenne sur le gaz. Au mieux, Nord Stream 2 ne pourrait donc entrer en service qu’en mai 2022.
Menaces d’invasion russe de l’Ukraine
Mais l’attente pourrait être plus longue encore. En effet, Berlin a décidé de faire de Nord Stream 2 un moyen de pression sur Moscou dans la crise actuelle entre la Russie et l’Ukraine. Fin novembre 2021, le gouvernement ukrainien a en effet accusé la Russie d’avoir massé des troupes à la frontière ukrainienne, dans le but d’envahir le pays au début de l’année 2022.
Cette menace est prise très au sérieux par les alliés occidentaux de l’Ukraine, Etats-Unis et Union Européenne en tête, qui tentent depuis de faire pression sur Vladimir Poutine pour qu’il renonce à toute offensive.
Lignes rouges russes sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN
Comme très souvent en cas d’accusation de bellicisme, la position officielle du Kremlin est de nier en bloc, en affirmant que le pays n’a aucune intention d’envahir l’Ukraine. Pour Moscou, les déploiements de troupes à proximité de la frontière ukrainienne sont de simples manœuvres de routine. Et, de toute façon, comme l’a encore affirmé ce 8 décembre le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, « tout ce que fait la Russie se fait sur le territoire de la fédération de Russie ».
Pour autant, l’armée russe est capable d’attaques-éclair, comme l’a prouvé l’annexion de la Crimée en 2014, même si l’armée ukrainienne est aujourd’hui beaucoup plus préparée et à l’affut qu’à l’époque.
Dans cette guerre diplomatique, Vladimir Poutine en a profité pour rappeler que la Russie tient à certaines lignes rouges, et que l’Ukraine risque d’en franchir certaines très prochainement, notamment en demandant une adhésion à l’OTAN ou en se fournissant massivement en armes occidentales. Le président russe demande régulièrement des garanties formelles que l’Ukraine n’adhérera pas à l’OTAN, refusant qu’un voisin de la Russie fasse partie de l’alliance.
Le G7 menace Moscou de « conséquences massives » en cas d’invasion de l’Ukraine
La crise ukrainienne est ainsi l’occasion pour Vladimir Poutine de se placer au centre de l’attention et du jeu diplomatique, et d’avancer ainsi ses propres pions, que ce soit sur ces fameuses lignes rouges ou sur les sujets sur lesquels il veut renouer avec les Etats-Unis, comme la stabilité stratégique et le nucléaire iranien.
Pour autant, les pays du G7 ont réaffirmé, ce 12 décembre 2021, que la Russie s’exposait à des « conséquences massives » en cas d’invasion de l’Ukraine. La veille, les Etats-Unis avaient menacé Moscou de sanctions économiques et diplomatiques sans précédent en cas d’offensive sur le sol ukrainien.
L’Allemagne confirme que Nord Stream 2 ne rentrera pas en service en cas de « nouvelle escalade » russe en Ukraine
Dans cette lutte diplomatique et médiatique, l’Allemagne a décidé de mettre l’avenir de Nord Stream 2 dans la balance. Ce 13 janvier, la nouvelle cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, a ainsi précisé les menaces voilées utilisées jusque là par le nouveau chancelier Olaf Scholz : « il a été convenu entre les Américains et l’ancien gouvernement allemand [d’Angela Merkel] qu’en cas de nouvelle escalade ce gazoduc ne pourrait entrer en service », a déclaré la nouvelle ministre des Affaires Etrangères.
Cette déclaration confirme celle de Jake Sullivan, conseiller américain à la sécurité nationale, qui affirmait, le 7 décembre 2021 : « Si Vladimir Poutine veut que le futur Nord Stream 2 transporte du gaz, il ne prendra peut-être pas le risque d’envahir l’Ukraine ». Le président américain Joe Biden lui-même aurait brandi cette menace lors de son entretient avec Vladimir Poutine le 8 décembre.