Le 31 décembre 2021, la Commission Européenne a présenté sa version finale de la taxonomie verte, qui fixe les critères permettant à une source d’énergie de bénéficier de financements « durables ». Après de longs mois de tractations et de lobbying, le texte intègre finalement le gaz naturel, sous conditions et comme « énergie de transition ». Cette décision colle parfaitement avec la trajectoire de transition énergétique de l’Allemagne, qui veut s’appuyer sur le gaz pour sortir au plus vite du charbon, et qui a largement milité pour. Certes, le texte peut encore être modifié jusqu’à la mi-janvier, mais il ne devrait plus guère bouger, actant le rôle du gaz naturel dans la transition énergétique de l’Union Européenne – une claire victoire pour l’Allemagne, tempérée toutefois par le choix d’inclure aussi le nucléaire dans la taxonomie.
Le texte n’est certes pas encore définitif, il peut être modifié jusqu’à la mi-janvier par les Etats membres et les experts consultés par la Commission Européenne. Mais le compromis fut très long à se dessiner, et a le mérite de présenter un réel équilibre entre les pro-nucléaire et les pro-gaz naturel pour soutenir la transition énergétique. Si bien qu’il semble peu probable que de profonds changements aient lieu.
Avril 2021 : la première mouture de la taxonomie verte ne tranche pas pour le gaz et le nucléaire
Il a en effet fallu presque un an à la Commission Européenne pour boucler le texte de sa taxonomie verte, qui précise quelles énergies sont éligibles, et sous quelles conditions, aux « financements verts » dans l’Union Européenne. L’inclusion de l’ensemble des renouvelables, hydraulique, éolien et solaire en tête, n’a pas posé de gros soucis, avec simplement des obligations de protection de la biodiversité ou une gestion durable des ressources de biomasse.
Fin avril 2021, une première mouture de cette taxonomie était publiée, mais qui repoussait à plus tard la décision pour les deux plus épineuses sources d’énergie, à savoir le gaz naturel (pour la production d’électricité) et le nucléaire.
L’Allemagne en tête de liste des défenseurs du gaz (et des opposants au nucléaire)
Durant toute l’année 2021, débats et lobbying ont fait rage entre les pays partisans de l’atome pour soutenir leur transition énergétique (notamment la France et sept pays de l’Est de l’Europe, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie), et ceux, menés par l’Allemagne, défendant la place du gaz naturel dans cette même transition.
Berlin jouait d’ailleurs sur les deux tableaux, car l’Allemagne (qui devrait fermer sa dernière centrale nucléaire fin 2022) avait également pris la tête des pays fermement opposés à l’inclusion de l’énergie atomique dans cette taxonomie, au coté de l’Espagne, du Danemark ou de l’Autriche.
Tout au long de l’année, chaque réunion publique sur la question énergétique était l’occasion pour les représentants du gouvernement allemand de soutenir la place du gaz naturel, et de fustiger l’énergie nucléaire, jugée dangereuse et, par nature, anti-écologique (malgré des émissions carbone inférieures, sur l’ensemble du cycle de vie, à la plupart des sources d’électricité renouvelables, et donc très largement inférieures aux combustibles fossiles).
Pourquoi l’Allemagne a besoin du gaz pour sa transition énergétique ?
Le même intense travail de lobbying a eu lieu dans l’environnement plus feutré des couloirs de Bruxelles, pour convaincre les membres de la Commission que le gaz naturel était nécessaire à la transition énergétique. Il semble en effet compliqué de maintenir la stabilité d’un réseau électrique accueillant plus de 50 % de renouvelables intermittents sans des sources d’électricité pilotables à la seconde (il n’en existe que deux, l’hydro-électricité et le gaz), en particulier sans nucléaire – à moins d’investissements colossaux dans des équipements de flexibilité électrique, comme le stockage et les smart grids.
Certes, utiliser de l’hydrogène vert ou du biogaz peut être, à terme, une solution, mais qui semble bien lointaine – l’écrasante majorité de l’hydrogène mondial est toujours produit par reformage du gaz naturel, et la filière biogaz, malgré son dynamisme, ne peut répondre à court terme (ni, sans doute, à moyen terme) aux besoins de stabilité imposés par l’usage massif de renouvelables intermittents. Dès lors, l’Allemagne ne peut se passer du gaz naturel pour produire de l’électricité, en particulier pour sortir du charbon d’ici 2030 comme le nouveau gouvernement l’ambitionne.
Le texte (presque) final de la taxonomie verte inclut finalement le gaz naturel comme « énergie de transition »
Au terme de ces longs mois de discussion, la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen a décidé de se charger elle-même de la finalisation de ce texte-clé, confié à ses équipes, pour aboutir à un compromis, présenté le 31 décembre 2021 aux Etats membres.
Pour Berlin, c’est une victoire sur le volet du gaz naturel, et un échec sur celui du nucléaire. Mais il semblait difficile pour Bruxelles de valider l’un en refusant l’autre. Les deux énergies sont donc bel et bien intégrée dans la taxonomie verte, mais sous conditions, et, dans le cas du gaz naturel, uniquement comme « énergie de transition ».
Le gaz fossile aura sa place dans la transition énergétique de l’Union Européenne… jusqu’en 2030 et uniquement pour sortir du charbon
Ainsi, pour obtenir un permis de construire au-delà de 2030, une centrale au gaz soutenue par des investissements verts devra émettre moins de 100 g de CO2 par kWh. Un niveau qu’aucune technologie actuelle ne permet d’approcher – une façon de limiter à 2030 l’étiquette « verte » du gaz fossile, à moins d’une révolution technologique ouvrant vers un hypothétique gaz fossile bas carbone.
Jusqu’en 2030, les centrales au gaz devront limiter leurs émissions à 270 g de CO2/kWh pour être éligible à des financements verts, à condition qu’elles servent à remplacer des infrastructures existantes beaucoup plus polluantes – donc des centrales au charbon. La Commission a ajouté d’autres contraintes, comme l’« utilisation d’au moins 30 % de gaz renouvelable ou peu carboné dès 2026 », part relevée à « 55 % en 2030 », ou un engagement de l’État membre à sortir du charbon.
En clair : le gaz fossile aura sa place dans la transition énergétique de l’Europe, mais ne pourra prétendre à des subventions vertes que jusqu’en 2030, et uniquement pour des projets permettant de limiter la part de charbon dans la production électrique. Soit exactement ce que demandait l’Allemagne, qui devra, pour cela, avaler la couleuvre du nucléaire, inclus finalement lui aussi dans la taxonomie, avec d’ailleurs moins de contraintes.