Les questions énergétiques continuent de provoquer de fortes dissensions entre les membres de l’Union Européenne. Lors de la réunion des ministres de l’Environnement et de l’Energie des 27, qui ouvre la Présidence Française de l’Union Européenne, évoquant les moyens d’agir face à la hausse massive des prix de l’électricité, plusieurs Etats ont réaffirmé leur soutien à une simple hausse des stocks de gaz naturel, plutôt qu’une révision en profondeur des mécanismes du marché de l’électricité dans l’Union, comme réclamé par la France.
Quelles leçon l’Union Européenne doit-elle tirer de l’explosion du prix de l’électricité, provoquée par celle du gaz naturel sur le marché européen depuis septembre 2021 ?
Dans l’Union Européenne, la hausse des prix du gaz entraine mécaniquement celle des tarifs de l’électricité
Les Vingt-Sept ont en effet tous du agir pour limiter la hausse des prix de l’énergie sur leur sol, via des mesures fiscales ou techniques. En France, le gouvernement a par exemple réduit la fiscalité de l’électricité, et contraint EDF à augmenter de 20 TWh ses livraisons d’Arenh (de l’électricité nucléaire à prix réduit) à ses concurrents, afin de limiter à 4 % la hausse de la facture électrique pour les particuliers et les PME en 2022. Les analystes estiment que, sans ces interventions, les tarifs électriques auraient bondi de plus de 40 % en février 2022 en France.
Cette hausse des prix de l’électricité est majoritairement provoqué par l’un des principes du marché européen de l’électricité, qui pratique une tarification au «coût marginal» : le prix de l’électricité sur le marché de gros n’est pas lié au coût moyen de l’ensemble des centrales d’un pays ou de l’Union, mais indexé sur celui de la dernière source injectée pour équilibrer le réseau. Qui est, dans l’écrasante majorité des cas, une centrale au gaz – les plus simples à piloter.
L’Union Européenne face à une hausse historique des prix du gaz et de l’électricité
La conséquence directe de ce mécanisme est que les prix de l’électricité en Europe sont corrélés à ceux du gaz naturel. Dans un contexte où les prix du gaz connaissent peu de volatilité, c’est plutôt un facteur stabilisant. D’autres sources électriques (hydro-électricité, éolien, photovoltaïque) ont en effet une production qui varie considérablement d’une saison à l’autre, voire d’une année à l’autre, avec des coûts peu prévisibles.
En revanche, ce mécanisme rend le système électrique européen extrêmement dépendant des prix du gaz naturel. Et dans un contexte de hausse exponentielle des prix du gaz, comme depuis l’automne 2021, pour des raisons conjoncturelles (reprise de l’activité mondiale plus rapide que prévue), techniques (maintenance ou incident sur plusieurs gazoducs), structurelles (effet des différentes taxes carbones) et géopolitiques (choix de la Russie de limiter ses exportations vers l’Union Européenne), entre autres, le prix de l’électricité s’envolent eux aussi.
Rénover le marché de l’électricité ou détendre le marché du gaz fossile ?
Les dirigeants de l’Union Européenne affichent depuis leurs divergences sur les réponses structurelles à donner à cette situation. Deux camps s’opposent : ceux, menés par la France, qui estiment qu’il vaut rénover le marché de l’électricité et le mécanisme de la tarification au coût marginal, en particulier dans un contexte de transition énergétique où les coûts du gaz naturel devraient augmenter.
L’autre camp, mené par l’Allemagne et le Luxembourg, estime que le cadre réglementaire actuel est adapté aux défis de demain, et milite pour une sécurisation de l’approvisionnement en gaz naturel, notamment par une hausse des stocks (qui étaient, au début de la crise en septembre 2021, et sont toujours, à leur niveau le plus bas en Europe) et une diversification des fournisseurs au détriment de la Russie.
Cette ligne de fracture recouvre d’ailleurs, en grande partie, celle des pays défavorables (les premier) ou favorables (les seconds) à l’intégration du gaz naturel dans la taxonomie verte.
Divergences durant la réunion des ministres de l’Environnement et de l’Energie, à Amiens
Lors de la réunion des ministres de l’Environnement et de l’Energie, à Amiens, du 20 au 22 janvier 2022, organisée en prélude des six mois de Présidence Française de l’Union Européenne, ces divergences ont continué de fracturer l’Union en deux camps. La France, dans sa volonté de rénover le marché de l’électricité, est toutefois apparue encore plus isolée qu’à l’automne 2021.
Paris a pourtant fait de ce sujet un grand cheval de bataille. «Nous avons un marché de l’énergie qui aujourd’hui est très protecteur, et dont on a besoin, qui nous permet d’avoir les interconnexions nécessaires pour pouvoir avoir de l’électricité partout, mais nous voyons qu’il y a certainement une adaptation à faire, notamment sur les marchés de détail», avait défendu la ministre de la Transition écologique française, Barbara Pompili.
La France veut une rénovation du marché de l’électricité, sans écho positif chez la plupart de ses partenaires
En début de semaine, le ministre français de l’Economie, s’était montré encore plus direct : «Nous voulons en avoir pour notre argent, pour nos investissements dans le nucléaire. Nous voulons décorréler une bonne fois pour toutes le coût de l’électricité produite en France du coût marginal d’ouverture des centrales à gaz dans le reste de l’Europe».
Mais, comme le pointe Adam Guibourgé-Czetwertynski, secrétaire d’État polonais au Climat, cette révision du marché de l’électricité « est un sujet que la France porte, mais qui n’a pas un écho très positif chez beaucoup». Il défend, de son coté, «des solutions à plus long terme qui permettent d’assurer une plus grande stabilité de marché, de plus grandes réserves de gaz qui permettraient d’amortir les chocs et cette instrumentalisation qui est faite par la Russie».
Le Luxembourg pilote des discussions pour que cinq Etats augmentent leurs stocks de gaz
A Amiens, c’est le ministre luxembourgeois Claude Turmes qui a porté la voix des défenseurs d’un statu quo : «Ce marché de l’électricité, on a mis 25 ou 30 ans à le construire, il a des raisons de fonctionner comme il le fait». L’urgence est donc, pour lui, de « rassurer le marché du gaz », en garantissant notamment un meilleur remplissage des stocks de gaz fossile pour l’hiver, notamment en Allemagne.
Sur cette question, le Luxembourg est d’ailleurs en train de se détourner d’une potentielle solution à 27, en pilotant des discussions pour parvenir à un accord à quelques Etats (Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Autriche) pour généraliser des réglementations imposant un niveau minimum de stocks de gaz naturel – comme ce qui existe en France. Claude Turmes a également proposé de signer des contrats d’approvisionnement à long terme avec des pays producteurs jugés plus fiables que la Russie, comme la Norvège ou le Canada.
La transition énergétique demeure toutefois étrangement absente de ce débat, comme si l’Union Européenne n’avait pas déjà prévu de réduire dès 2030 sa consommation de gaz fossile, notamment via des mécanismes de marché (prévus en particulier dans la paquet législatif Fit for 55… débattu lui aussi à Amiens…).