Ce 18 mars 2022, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a annoncé, via un communiqué, un spectaculaire et inattendu revirement sur la question du Sahara Occidental, rompant avec 46 ans de neutralité espagnole sur ce dossier, en soutenant officiellement le projet marocain d’autonomie. Un véritable camouflet diplomatique pour l’Algérie, qui défend depuis toujours l’indépendance de l’ex-colonie espagnole ou, a minima, un référendum d’auto-détermination. Ce changement d’alliance acte l’échec diplomatique de la fermeture, par l’Algérie, du Gazoduc Maghreb Europe, qui a poussé l’Espagne à se fournir en GNL auprès des Etats-Unis et à se rapprocher du Maroc.
Fin octobre 2021, l’Algérie ne renouvelle pas l’accord sur le Gazoduc Maghreb Europe (GME), qui acheminait du gaz naturel d’Algérie en Espagne, via le Maroc, en échange de la fourniture de gaz au Maroc. Cette décision faisait suite à une rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat, provoquée notamment par des différents profonds sur le statut du Sahara Occidental, l’ex-colonie espagnole qui revendique son indépendance depuis 1976 et que le Maroc considère comme faisant partie de son territoire.
L’Algérie ne renouvelle pas le GME, pour priver le Maroc de gaz…
La manœuvre algérienne vise à priver le Maroc de gaz, en profitant d’une brouille diplomatique entre Rabat et Madrid au printemps 2021, afin d’affirmer son leadership sur cette question, et avancer sur la tenue d’un référendum d’autodétermination au Sahara Occidental, proposé par l’ONU et défendu par Alger.
La fermeture du GME limite les capacités d’export de gaz fossile algérien vers l’Espagne par gazoduc au seul Medgaz, un équipement essentiellement offshore reliant directement les deux pays. Madrid s’en inquiète officiellement, l’Algérie propose de compenser la différence par des envois de GNL. L’Espagne étant le pays d’Europe le mieux équipé en terminaux méthaniers (six en tout, soit un tiers des capacités de stockage de GNL du continent, quand l’Allemagne, par exemple, n’en compte aucun), la proposition semble réaliste.
… et pousse l’Espagne à se fournir en GNL américain
Mais l’Algérie peine à livrer les quantités de GNL promises. Surtout, les contrats de livraison de GNL se faisant souvent sur du court terme, ils permettent à Madrid de changer de fournisseur, et de se tourner vers les Etats-Unis.
L’évolution, en très peu de temps, est spectaculaire : au début des années 2000, l’Espagne importait 60 % de son gaz d’Algérie. Entre 2014 et 2018, cette part oscillait entre 50 et 60 %. Fin 2021, l’Algérie fournissait encore 45 % des importations espagnoles. Mais en février 2022, cette part est tombée à 23 %. Avec 34,6 % du total, les Etats-Unis sont devenus ce mois-ci le premier fournisseur de gaz fossile de l’Espagne.
Pedro Sánchez soutient la doctrine marocaine d’autonomie du Sahara Occidental
Mi-mars 2022, la sous-secrétaire d’état américaine Windy Sherman visite successivement l’Espagne, le Maroc et l’Algérie. Elle tente de convaincre Alger de rouvrir le GME, compte tenu de la situation énergétique de l’Union Européenne et des risques de pénurie de gaz en cas d’escalade avec la Russie. La diplomatie algérienne refuse, tout en négociant avec l’Italie une hausse de ses exportations.
C’est sans doute à cet instant que le piège s’est refermé sur l’Algérie. Car, le 18 mars 2022, le premier ministre espagnol Pedro Sánchez publie un communiqué indiquant que l’Espagne soutenait désormais la proposition marocaine d’une autonomie du Sahara Occidental au sein du Royaume marocain (une position à laquelle l’Allemagne s’était elle aussi convertie plus tôt dans l’année, rejoignant ainsi la France).
Espagne et Maroc, partenaires stratégiques, sur le front économique et migratoire
Cette décision surprise met fin à la neutralité de l’Espagne sur cette question, et à un statu quo diplomatique de 46 ans, depuis la décolonisation du Sahara Occidental. Le Maroc s’est félicité de cette décision, et a renvoyé son ambassadrice en Espagne, Karima Benyaich, dès le dimanche 20 mars, après dix mois d’absence.
Cette prise de position scelle surtout le rapprochement de Madrid et Rabat, et une relative rupture avec Alger. L’Espagne et le Maroc ont en effet de profonds intérêts communs, économiques et migratoires. Plus de 1 000 entreprises espagnoles sont installées au Maroc, l’Espagne est le premier partenaire économique du Royaume, et les deux pays échangent de nombreux biens et services.
Qui plus est, la frontière marocaine est une porte d’entrée des flux migratoires d’Afrique vers l’Europe, et, au sommet des tensions entre les deux pays, au printemps 2021, le Maroc avait baissé la surveillance de ses postes frontières, provoquant un afflux de migrants sur le territoire espagnol, en particulier dans l’enclave de Melilla.
Le bon coup de la diplomatie américaine
En face, les échanges entre l’Espagne et l’Algérie portent presque exclusivement sur le gaz. Et le contrat de livraison du gazoduc Medgaz n’arrive à échéance qu’en 2030, empêchant Alger de riposter en coupant le robinet de gaz à Madrid – à moins de rompre unilatéralement ce contrat, ruinant la réputation d’Algérie et la confiance que les acheteurs du monde entier pourraient lui faire.
Au-delà, cette passe d’arme diplomatico-énergétique porte le sceau des Etats-Unis. Il est hautement probable que Wendy Sherman a joué un rôle-clé dans le revirement espagnol, en apportant des garanties à Madrid. Les Etats-Unis confortent ainsi leurs exportations de GNL vers l’Espagne, tout en renforçant leurs liens avec le Maroc, un allié régional de poids pour Washington.