Stockage du gaz naturel en Europe : la problématique des sociétés russes

L’Union Européenne veut s’appuyer sur ses sites de stockage de gaz naturel pour renforcer son indépendance énergétique de la Russie, imposant un taux de remplissage de 80 % à l’automne 2022 (90 % à l’automne 2023). Mais si, en France, les sites de stockage sont opérées par des sociétés françaises et en partie publiques, dans de nombreux pays, Allemagne en tête, ce sont des intérêts privés qui s’en chargent. Or, 9 % des capacités de stockage européens sont aujourd’hui détenus par des sociétés russes, à savoir des filiales de Gazprom. Au point que l’Allemagne vient de nationaliser temporairement une filiale de Gazprom opérant son principal site de stockage.

Le plan REPowerEU, présenté par l’Union Européenne mi-mars 2022, vise à réduire la dépendance des Vingt-Sept aux hydrocarbures. Outre une diversification des fournisseurs et un développement des renouvelables, le plan impose un taux de remplissage des sites de stockage de gaz naturel de l’Union Européenne de 80 % au 1er octobre 2022, puis de 90 % au 1er octobre 2023.

L’Union Européenne va imposer 80 % puis 90 % de remplissage de sites de stockage de gaz naturel

Cette proposition est cohérente avec la législation française, qui impose actuellement un taux de remplissage de 85 % de ses sites de stockage au 1er octobre. « Les capacités de stockage de l’UE représentent environ un quart de sa consommation de gaz à l’année », soit une capacité totale d’environ 100 milliards de mètres cubes en 2021, pointe Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Centre global de politique de l’énergie, à l’université Columbia (Etats-Unis).

Les trois principaux pays disposant de stockages souterrains de gaz naturel sont, dans l’Union Européenne, l’Allemagne, avec 20,8 milliards de mètres cube, l’Italie, avec 14,3 milliards de mètres cube, et la France, avec 11,9 milliards de mètres cube – soit la moitié du total européens. Pour atteindre ces 80 % de remplissage, les différents Etats vont devoir augmenter leurs importations de gaz fossile, notamment via le GNL.

Des prix en baisse sur le marché du GNL

Sur ce front, les nouvelles de marché mondiaux sont plutôt bonnes : si le prix du gaz naturel sur les marchés de gros a atteint des sommets historiques en Europe au mois de mars 2022, les prix du GNL sont en baisse en ce mois d’avril, aidés par un effritement de la demande en Chine (à cause, justement, de cette hausse des prix qui conduit à privilégier d’autres options énergétiques meilleur marché) et au Brésil (à cause d’une pluviométrie historiquement forte, qui a rempli les réservoirs des centrales hydro-électriques beaucoup plus vite que sur une année classique).

« Les acheteurs chinois se sont retirés du marché spot car les besoins de chauffage hivernal diminuent et que les utilisateurs pouvant changer de combustible recherchent des options énergétiques moins coûteuses »témoigne Felix Booth, responsable du GNL chez Vortexa, société d’intelligence énergétique.

« Si la demande spot en Asie ne reprend pas, l’Europe pourrait devenir une sorte de « décharge » à court terme, étant donné les réserves de gaz encore relativement basses et les risques pesant sur l’approvisionnement par gazoduc », complète M. Hengky, analyste principal pour le GNL dans le monde chez Refinitiv.

Les filiales de Gazprom contrôlent 9 % des capacités de stockage de gaz en Europe, et entre 20 et 25 % en Allemagne

Pour autant, cette volonté de remplir les réservoirs de gaz fossile (sous forme de GNL) pourrait se heurter, au moins en partie, à un autre forme de dépendance énergétique à la Russie : certes, en France, les 11,9 milliards de mètres cubes de stockage disponibles, capable d’accueillir 132 TWh de gaz, sont opérés par des sociétés françaises, Storengy (100 TWh), filiale d’Engie (dont l’État français demeure actionnaire principal), et Teréga (32 TWh), gestionnaire du réseau de transport de gaz dans le Sud-Ouest, détenue à 40 % par l’italien Snam et à 18 % par EDF.

Mais, ailleurs en Europe, de nombreux sites de stockage sont détenus par des acteurs extra-européens, notamment russes. Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de la question, estime ainsi que Gazprom, via ses différentes filiales, notamment Astora, détient ou gère environ 9 % des capacités européennes de stockage, un chiffre qui monte entre 20 et 25 % en Allemagne.

Revente problématique de Gazprom Germania

Les filiales de Gazprom possèdent notamment le site de Rehden en Allemagne (Basse-Saxe), le plus grand d’Europe, mais aussi des parts ou des capacités dans les réservoirs de Damborice (République Tchèque), d’Etzel et Katharina (Allemagne) et de Bergmeer (Pays-Bas).

Ou plutôt, concernant, Rehden, « contrôlait ». Le site appartient en effet à 100 % à Gazprom Germania, une filiale de droit allemand de Gazprom (et donc sur laquelle le gouvernement allemand disposait d’une certain contrôle), mais Gazprom a annoncé son intention de la vendre à JSC Palmary et Gazprom export business services LLC.

Une nationalisation temporaire de la filiale de Gazprom

La revente de ses actifs à ses différentes filiales est une habitude de Gazprom, mais, dans cette transaction, le ministère des Affaires économiques allemand n’est pas parvenu à identifier à qui appartenaient les deux sociétés acheteuses. Or, l’acquisition d’une « infrastructure critique » par des investisseurs hors de l’Union Européenne est soumise à l’autorisation des autorités nationales.

Le ministère allemand de l’Economie a donc refusé cette acquisition : « Le gouvernement fédéral fait ce qui est nécessaire pour maintenir la sécurité d’approvisionnement en Allemagne. Cela inclut également de ne pas exposer les infrastructures énergétiques en Allemagne à des décisions arbitraires du Kremlin. La bonne conduite des affaires en Allemagne doit être garantie », a ainsi justifié le ministre de l’Economie Robert Habeck.

L’Allemagne a donc décidé de faire du régulateur fédéral allemand de l’énergie, la Bundesnetzagentur, l’administrateur temporaire de Gazprom Germania jusqu’en septembre 2022 (au moins), ce qui revient à nationaliser temporairement les infrastructures contrôlées par la filiale de Gazprom, notamment le site de stockage de Rehden.

Vers d’autres nationalisations temporaires en cas de rupture énergétique avec Moscou ?

Mais le problème reste entier pour les autres sites de stockage en Europe. Le risque d’une rupture de la fourniture du gaz naturel russe en Europe (soit par décision du Kremlin, soit suite à un embargo européen) s’accompagnerait d’une tension sur ces équipements.

L’urgence énergétique pourrait toutefois permettre aux différents États de confisquer et nationaliser temporairement ces équipements, à l’image de l’Allemagne avec Rehden. Les différents gouvernements concernés envisageraient donc prioritairement cette option en cas de rupture avec Moscou et Gazprom.

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A propos de l'auteur Ondine Marnet

Consultante RSE et spécialiste des enjeux énergétiques, Ondine Marnet est approchée par la rédaction du gaz.fr fin 2014, et se joint à l'aventure début 2015.

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