Ce 13 mai 2022, l’Espagne et le Portugal ont mis en place un plafonnement des prix du gaz destiné à alimenter des centrales électriques, en vertu de « l’exception ibérique » accordée par la Commission européenne, en raison de la situation particulière de la péninsule ibérique, mal interconnectée au reste du réseau électrique européen. Ce coup de canif dans le principe du marché européen de l’électricité annonce-t-il une réforme de fond, pour laquelle milite la France ou l’Espagne ?
Depuis le début de la crise énergétique européenne, à l’automne 2021, bien avant l’invasion de l’Ukraine, plusieurs États membres de l’Union européenne ont milité pour une réforme du marché européen de l’électricité et de l’énergie.
L’Espagne et la France mènent la fronde contre le marché européen de l’électricité
Ils réclamaient en particulier la fin du mécanisme calant les prix de l’électricité sur ceux de la dernière source injectée sur le réseau (le plus souvent du gaz naturel, parfois du charbon) : ce mécanisme tend en effet à indexer les prix de l’électricité sur ceux du gaz naturel, y compris pour les pays ayant fait le pari des renouvelables ou du nucléaire pour assurer leur indépendance énergétique, comme la France ou l’Espagne.
Symptomatiquement, ce sont ces deux pays qui ont mené la fronde contre le marché européen de l’énergie, par les voix de la ministre espagnole de l’Écologie, Teresa Ribera, et du ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire. Ils négocient depuis des mois pour obtenir l’ouverture de négociations sur ce sujet, dont ne veulent pas entendre parler les champions de l’ordo-libéralisme, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas.
Et si l’Union européenne a accordé aux États membres le droit d’agir pour limiter la hausse des prix de l’énergie, y compris en taxant plus largement les méga-bénéfices des géants du secteur, la question d’une éventuelle réforme du marché de l’électricité restait un tabou.
L’Espagne et le Portugal obtiennent de la Commission européenne une « exception ibérique »
Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en renforçant les craintes de pénurie, a provoqué un nouvel envol des prix du gaz et, donc, de l’électricité, poussant l’Espagne, et dans son sillage le Portugal, à reprendre les négociations, mais sous un autre angle d’attaque, celui de leurs isolements géographiques.
Et, fin avril 2022, les efforts de Teresa Ribera ont été couronnés de succès : la Commission européenne a accepté de reconnaître le principe d’une « exception ibérique » pour le marché de l’électricité.
Une péninsule qui fonctionne comme une île en matière de réseau électrique
En effet, l’Espagne (et avec elle le Portugal) ne dispose que d’une faible interconnexion électrique avec la France, et donc le reste du réseau électrique européen. Cette interconnexion est estimée entre 3 et 5 % de la capacité électrique totale de l’Espagne. Cette faiblesse structurelle limite fortement l’accès de la péninsule ibérique au réseau électrique européen, en particulier aux centrales renouvelables de l’Europe du Nord.
Dans les faits, la péninsule fonctionne, le plus souvent, comme une île déconnectée du réseau européen. C’est en vertu de cette spécificité que la Commission européenne a autorisé Espagne et Portugal à déroger, pour au moins 12 mois, aux règles du marché européen de l’électricité.
L’Espagne et le Portugal plafonnent les prix du gaz pour les centrales électriques
Ce 13 mai 2022, le gouvernement espagnol a donc signé un décret, impliquant également le Portugal, et actant les effets de cette « exception ibérique » : il plafonne les prix du gaz acheté pour alimenter une centrale électrique à 40 euros le MWh pendant 6 mois, avant une hausse progressive pour atteindre une moyenne à 50 euros le MWh sur l’année.
« Seul le gaz sera payé au prix du gaz », a synthétisé Teresa Ribera lors de la présentation de la mesure, en insistant sur le fait que l’explosion des cours du gaz doit cesser de contaminer ceux du nucléaire ou des renouvelables.
Faire baisser le prix du MWh électrique de 30 %
Cette mesure va permettre de réduire le tarif du MWh électrique produit avec du gaz, et donc de faire baisser mécaniquement les prix de l’électricité. Le gouvernement espagnol espère ainsi réduire de 30 % le tarif de l’électricité, aux alentours de 130 euros le MWh en moyenne, contre 210 euros le MWh ces derniers mois.
L’objectif est de diminuer la facture d’électricité des ménages, des PME et de l’industrie de 25 à 30 %, et permettre la relance de certaines industries fortement électro-dépendantes, qui avaient du réduire leurs activités, la sidérurgie notamment.
Vers un détricotage complet du marché européen de l’électricité ?
En Espagne comme au Portugal, c’est l’État qui va régler aux fournisseurs de gaz la différence entre le tarif plafonné et les prix de marché, une mesure financée par une taxe sur les bénéfices extraordinaires perçus par les compagnies électriques suite à l’explosion des prix.
Ainsi, l’Espagne pourra bénéficier de sa politique ambitieuse à destination des renouvelables (46,7 % de la production électrique de 2021) pour limiter la hausse des factures de ses concitoyens.
Pour autant, ni l’Espagne, ni Teresa Ribera ne désarment, et estiment que cette exception n’est qu’un premier pas vers un détricotage d’un système trop favorable aux énergies fossiles en cas de crise. Et, en matière de gaz dans l’Union européenne, tout porte à croire que la crise va durer encore…