Un accord est en passe d’être trouvé entre l’Egypte, Israël et l’Union européenne, pour formaliser une exportation accru de gaz israélien vers l’UE, via les terminaux de liquéfaction égyptiens. Le gaz de la Méditerranée orientale pourrait devenir un point d’approvisionnement privilégié de l’Europe, malgré un impact environnemental conséquent.
La crise ukrainien redistribue les cartes des rapports de force économiques, énergétiques et diplomatiques, dans le monde et dans l’Europe. Elle rapproche ainsi Israël et la Turquie, enfin conscients qu’ils ont plus d’intérêt à s’unir qu’à se disputer pour valoriser les gisements de gaz qu’ils partagent avec l’Egypte, la Grèce et Chypre en Méditerranée Orientale.
L’Egypte, Israël et l’Union européenne vers un accord sur le gaz ?
Craignant une rupture d’approvisionnement en gaz naturel russe, l’Union européenne multiplie les négociations avec les pays fournisseurs de gaz pour trouver des alternatives. Et le duo Egypte-Israël s’est fortement positionné sur ce sujet.
Les deux pays vont signer ce mois-ci un accord avec l’Union européenne pour faciliter les exportations de gaz israélien, via les terminaux de liquéfaction de l’Egypte, Israël ne disposant pas d’infrastructure de GNL.
Un gazoduc relie en effet Israël et l’Egypte, et les deux pays collaborent depuis plusieurs années : Israël peut vendre du gaz à l’Egypte, qui le liquéfie et le vend sur les marchés internationaux ; ou Israël utilise les infrastructures égyptiennes pour vendre directement du GNL, en reversant une commission à l’Egypte.
Israël accélère la valorisation de ses réserves gazières offshore
Or, Israël a décidé, face à la conjoncture énergétique mondiale, d’accélérer la valorisation de ses champs gaziers off-shore. Le forage du champ de Karish, pourtant contesté par le Liban, devrait démarrer ce mois-ci, malgré les menaces de l’exécutif libanais et du Hezbollah.
Le pays a aussi recommencé à explorer son littoral à la recherche de nouveaux gisements, dès ce mois de juin 2022, alors qu’il avait décidé un gel de ces explorations jusqu’à fin 2022 .
Mais, pour pouvoir exporter son gaz vers l’Europe, Israël a bel et bien besoin de son voisin égyptien. D’où cette entente tri-partite avec l’Union européenne. Le pré-accord, rendu public fin mai 2022, précisait ainsi que « la sécurité de l’approvisionnement en gaz est une préoccupation majeure commune qui est encore susceptible d’être modifié. L’Égypte et l’UE collaboreront pour assurer la stabilité de l’approvisionnement en gaz de l’UE ».
Les fuites de méthane sur le gril
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, travaille par ailleurs à faire accepter à l’Egypte des mesures pour endiguer les fuites de méthane durant la liquéfaction.
Le Caire n’a en effet toujours pas signé l’engagement mondial sur le méthane, ratifié par plus de 100 pays s’engageant à réduire leurs émissions de ce gaz à très fort effet de serre, mais se dissipant très rapidement dans l’atmosphère (au contraire du CO2, qui y reste des centaines d’années). Alors que l’Egypte s’apprête à accueillir la COP27, une signature du traité pourrait faire partie du package de l’accord gazier avec l’Europe.
Les exportations gazières de l’Egypte en forte hausse en 2022
L’Egypte dispose elle aussi d’importantes réserves de gaz naturel offshore, notamment via le gisement de Zohr, opérationnel depuis 2018. Aujourd’hui, l’Egypte produit quotidiennement 3 milliards de m³ de gaz naturel, dont plus de la moitié est consommée localement.
Mais les exportations de GNL égyptiens ont connu un spectaculaire bond en 2022, poussée par une hausse des échanges en volume et par la hausse des cours : en 2021, le pays avait exporté pour 4 milliards de dollars de gaz naturel sur l’année, et ambitionnait de doubler ce montant en 2022.
Sur les quatre premiers mois de l’année, les exportations gazières égyptiennes atteignent déjà 3,9 milliards de dollars, et le pays investit massivement pour augmenter ses capacités, via la construction de nouveaux gazoducs, le forage de nouveaux puits et l’augmentation de la capacité de liquéfaction et l’élargissement des terminaux méthaniers.
La Méditerranée orientale, futur eldorado gazier pour l’UE ?
Plus généralement, la Méditerranée orientale, et ses immenses gisements de gaz offshore découverts au début des années 2010, pourrait devenir le nouveau fournisseur privilégié de gaz naturel de l’Union européenne.
La Turquie est d’ailleurs en train d’effectuer un spectaculaire revirement diplomatique sur cette question. Jusqu’ici, le pays multipliait les intimidations contre la Grèce et Chypre, faisant notamment circuler des navires d’exploration de gaz dans leurs eaux territoriales, en raison, principalement, de la question hautement sensible de la République de Chypre du Nord.
La manne gazière pousse la Turquie à se rapprocher d’Israël et de l’Egypte, bientôt de la Grèce et de Chypre ?
Ankara était de plus en plus isolée face à la Grèce, Chypre, l’Egypte et Israël, qui multiplient les accords économiques, et semblent vouloir fonctionner comme un véritable cartel, tout en protégeant militairement les installations de ses voisins (ce sont ainsi des bases aériennes israéliennes qui protègent les gisements chypriotes).
Mais, depuis le début de l’année, la Turquie a tendu la main à Israël pour nouer un partenariat sur l’exportation de gaz israélien vers l’Union européenne. Si un dégel diplomatique avec la Grèce et, surtout, Chypre ne semble pas encore à l’ordre du jour, Ankara s’est aussi rapproché de l’Egypte sur ces questions.
Tout porte à croire que la Turquie commence à comprendre que son intérêt économique est d’exploiter sa manne gazière en bonne intelligence avec ses voisins, afin d’optimiser les bénéfices qu’elle pourrait en tirer. De là à voir des responsables turcs, grecs et chypriotes à la même table d’une négociation gazière ? L’hypothèse ne semble plus aussi surréaliste que voici quelques mois.