Le groupe énergétique allemand Uniper, principal client de Gazprom en Allemagne, est la victime numéro 1 de l’utilisation du gaz « comme d’une arme » par la Russie de Vladimir Poutine, pour reprendre la formule d’Ursula von der Leyen. Aux abois, le géant énergétique vient de réclamer une rallonge de 4 milliards d’euros de sa ligne de crédit chez la banque publique KfW, portéefin juillet à 9 milliards d’euros. Craignant un « effet Lehman Brother », le gouvernement allemand semble déterminé à défendre le groupe jusqu’au bout.
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les cours du gaz naturel en Europe, qui avaient déjà atteint des niveaux records fin 2021, connaissent de nouveaux pics. Le record absolu en séance a ainsi été atteint en mars 2022, avec 345 euros le MWh.
La Russie joue avec les nerfs des Européens avec Gazprom et Nord Stream
Mais, les cours ont de nouveau frôlé ce record, fin août 2022, à 342 euros le MWh, boosté par une énième annonce de suspension d’approvisionnement de Gazprom par Nord Stream, une nouvelle fois pour cause de maintenance. Le Kremlin continue de jouer avec les nerfs des Européens, en ouvrant et fermant le gazoduc au grès de ses humeurs (et du contexte géopolitique).
Certes, l’Union européenne a réagi, et a fortement diversifié ses approvisionnements en gaz. Même l’Allemagne, pourtant le pays le plus dépendant, en volume, du gaz russe, a pu se permettre, fin août, un message d’optimisme, son chancelier Olaf Scholz s’estimant mieux armé en cette fin d’été que voici quelques semaines pour faire face à une éventuelle rupture d’approvisionnement russe.
Uniper, premier client de Gazprom en Allemagne
Reste que les réductions de livraisons de Gazprom font souffrir l’ensemble du secteur énergétique européen. Mais l’entreprise qui en paye le prix le plus lourd est incontestablement le géant énergétique allemand Uniper. Ce dernier est en effet le premier importateur et fournisseur de gaz fossile en Allemagne. Et c’est surtout le premier client européen de Gazprom, et de loin.
Toute l’activité gazière d’Uniper en Allemagne s’appuyait sur du gaz russe relativement bon marché. Les livraisons ayant drastiquement chuté, le groupe n’a d’autres choix que de se fournir sur les marchés de l’énergie, où le prix du gaz a explosé.
Il faut sauver le soldat Uniper
Résultat : le groupe annonçait, mi-juillet, perdre plusieurs dizaines de millions d’euros par jour. Un montant révisé, fin août 2022, par son PDG Klaus-Dieter Maubach, à « plus de 100 millions d’euros par jour ».
Mais Uniper occupe une place centrale dans le système énergétique allemand, et donc européen. Le gouvernement d’Olaf Scholz craint, en cas de faillite d’Uniper, un « effet Lehman Brothers », un effet-domino qui entraînerait dans sa chute des milliers d’entreprises clientes du géant énergétique, et provoquerait des pénuries catastrophiques pour l’économie allemande.
Un plan de sauvetage validé fin juillet 2022
Sauver Uniper est donc devenu une priorité pour Olaf Scholz. Fin juillet 2022, l’État allemand annonce un vaste plan de sauvetage pour son fleuron énergétique. Il passe d’abord par une prise de participation publique d’environ 30 % du capital d’Uniper, via une augmentation de capital et un prêt public allant jusqu’à 7,7 milliards d’euros en obligations convertibles obligatoires, c’est-à-dire qui deviendront à terme des actions.
Dit autrement : l’État va prêter de l’argent à Uniper, jusqu’à 7,7 milliards d’euros, et cette somme se transformera en actions du groupe énergétique, détenues par l’État allemand. Ce volet du plan de sauvetage est encore en cours de négociation, malgré un accord de l’exécutif.
Une ligne de crédit de 7 milliards d’euros… dépensées en un mois !
Seconde mesure, qui vise à répondre aux manques immédiats de liquidités d’Uniper pour acheter du gaz sur les marchés mondiaux (aucune banque privée ne veut plus lui prêter, craignant un défaut de paiement) : le gouvernement porte à 9 milliards d’euros la ligne de crédit d’urgence d’Uniper auprès de la banque publique KfW, contre 2 milliards d’euros précédemment.
Mais, fin août 2022, Uniper annonce qu’il a déjà utilisé la totalité de ces 9 milliards d’euros, et demande, pour « garantir les liquidités à court terme de l’entreprise », une rallonge de 4 milliards d’euros de cette facilité de paiement.
Uniper contraint de rouvrir une centrale au charbon
« Tant que les prix de l’énergie continueront d’augmenter en Europe, le besoin de liquidités augmentera. Nous travaillons avec le gouvernement allemand pour trouver une solution permanente à cette situation d’urgence, sans quoi Uniper ne sera plus en mesure de remplir sa fonction critique pour l’Allemagne et l’Europe », précise Klaus-Dieter Maubach.
L’action Uniper, qui valait 40 euros avant l’invasion de l’Ukraine, est descendue sous la barre des 6 euros en cette fin de mois d’août. Dans le même temps, le groupe a remis en marche, le 29 août 2022, sa centrale au charbon Heyden 4 (mise à l’arrêt en décembre 2020 pour répondre au besoin de décarbonation de l’activité d’Uniper), jusqu’au 30 avril 2023.
Epée de Damoclès et erreur stratégique
Une épée de Damoclès plane par ailleurs sur les consommateurs allemands, puisque la direction d’Uniper avait obtenu, dans le cadre du plan de sauvetage de juillet, la promesse du gouvernement allemand qu’il introduirait « un mécanisme permettant (…) de répercuter les prix » sur les clients dès « le 1er octobre 2022 ».
Les factures des consommateurs allemands pourraient donc connaître, elles aussi, une véritable explosion au début de l’automne, mais le gouvernement tente de trouver un moyen d’éviter ce cataclysme social, qui pourrait durablement ébranler le pays.
Ainsi, il aura suffi à la Russie, pour faire s’effondrer en quelques mois d’un géant de l’énergie, de réduire ses livraisons de gaz naturel – comme une démonstration de l’erreur stratégique de l’Allemagne d’avoir misé une bonne part de sa politique énergétique sur du gaz russe à bon marché.