Dans une récente interview, le ministre russe de l’énergie, Alexandre Novak, a déclaré que le futur gazoduc Force de Sibérie 2, en discussion depuis des années et qui doit relier les champs gaziers de Sibérie à la province chinoise du Xinjiang, devait prendre la place de Nord Stream 2 dans la stratégie énergétique de la Russie. Selon lui, Moscou et Pékin vont prochainement signer d’importants accords pour la livraison de « 50 milliards de mètres cubes de gaz » par an via ce gazoduc. Une façon de tourner résolument le dos à l’Union européenne.
L’année 2022 aura vu un profond revirement dans la politique énergétique de la Russie, poussée par les bouleversement géopolitiques induits par la guerre en Ukraine.
Le gaz fossile, une « arme » stratégique de la Russie contre l’Union européenne
Alors que Moscou s’attendait à une guerre rapide, son enlisement a laissé le temps à d’importantes sanctions occidentales de se mettre en place. Et même si aucune sanction n’a visé directement les exportations de gaz vers l’Union européenne (la Russie avait fourni, en 2021, plus de 40 % du gaz consommé dans l’Union), les mesures de rétorsions économiquesoccidentales ont poussé le Kremlin à utiliser l’énergie, et en particulier le gaz, « comme une arme » – selon les mots de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Depuis le début du conflit, le 24 février 2022, la Russie ne cesse de jouer avec ses livraisons de gaz vers l’Ouest, notamment vers l’Allemagne via Nord Stream 1, afin de semer le doute et fragiliser les économies européennes, renforçant une crise énergétique qui fait peser un risque de stagflation sur les Vingt-Sept. L’Allemagne (et son géant Uniper, mis à genoux par cette politique énergétique agressive) en a particulièrement pâti.
Quand Moscou torche du gaz destiné à l’Europe…
Tout porte à croire que le Kremlin envisage sérieusement de renoncer à la manne économique de ses exportations gazières vers l’Union européenne. Pour l’heure, le ministre russe de l’énergie, Alexandre Novak, continue d’affirmer que la hausse des prix du gaz ont maintenu les revenus nets à leurs niveaux de 2021, malgré la baisse des exportations.
Une information a même circulé, indiquant que Moscou avait ordonné de torcher une partie du gaz arrivant au début de Nord Stream 1. L’image était saisissante (et terriblement choquante d’un point de vue climatique) : en pleine crainte de pénurie du gaz en Europe, le Kremlin en brûlait gratuitement.
Le Kremlin mise sur la Chine pour remplacer l’Europe comme importateur privilégié de son gaz
Reste que les prix du gaz ne devraient pas rester à ce niveau. Entre les volonté de réduction de consommation européennes, les possibles réformes du marché de l’énergie dans l’UE et les nouveaux projets de forage un peu partout dans le monde (Israël, Turquie, Sénégal, Angola, Mozambique, Qatar…), tout porte à croire que le marché du gaz fossile devrait se stabiliser à moyen terme.
La Russie doit donc urgemment trouver d’autres débouchés pour son gaz, l’économie russe étant très dépendante de ses exportations d’hydrocarbures. Outre le GNL, le plus logique est donc de se tourner vers l’Est. Dans cette optique, la volonté d’accélérer la création du gazoduc Force de Sibérie 2 vers la Chine semble plus que cohérente.
Inauguré en 2019, Force de Sibérie 1 pourra exporter 38 milliards de m³ vers la Chine en 2025
Un premier gazoduc de 2 159 km, baptisé Force de Sibérie (Sila Sibiri en russe), relie depuis 2019 le gisement de Tchaïandina en Iakoutie, dans le nord-est de la Sibérie, à Heile, dans l’extrême nord-est de la Chine, et, par ce bais, à l’ensemble du réseau gazier chinois.
Construit et opéré par Gazprom, avec la participation de la China National Petroleum Corporation, il va monter progressivement en capacité : 5 milliards de m³ exportés vers la Chine en 2020, 10 milliards en 2021, 15 milliards en 2022, jusqu’à un maximum de 38 milliards de m³ en 2025 (sur une capacité totale de 61 milliards de m³, le reste étant destinée à alimenter des stations de GNL sur le trajet).
A titre de comparaison, les deux gazoducs Nord Stream ont chacun une capacité maximale de 55 milliards de m³ par an (même si le second n’a jamais été mis en service).
Force de Sibérie 2 : une route occidentale pour une capacité de 50 milliards de m³
Mais, outre ce premier gazoduc, transitant par la partie orientale de la Sibérie, le projet de relier Sibérie et Chine comporte un second gazoduc, via la partie occidentale de la Sibérie. Baptisé d’abord Altai (du nom des montagnes dorés d’Altai, un site naturel qu’il doit traverser), il a pris le nom de Force de Sibérie 2.
Le gazoduc doit partir du champ de Tchaianda pour relier la région du Xinjiang, dans l’Ouest de la Chine, et se raccorder ainsi au massif gazoduc Ouest-Est, qui approvisionne toute la Chine. La longueur prévue de cet immense projet est d’environ 6 700 km dont 2 400 km sur le territoire de la Russie, pour une capacité approchant les 50 milliards de m³ par an.
En discussion depuis plusieurs années (une importante réunion sur le sujet a notamment eu lieu fin 2021), Force de Sibérie 2 est désormais le coeur de la stratégie de rupture énergétique avec l’Union européenne du Kremlin.
Le ministre russe de l’énergie annonce des accords avec la Chine pour que Force de Sibérie 2 « remplace » Nord Stream 2
Ce 15 septembre, Alexandre Novak, en visite en Ouzbékistan, a ainsi affirmé que la Russie et la Chine allaient prochainement signer des accords portant sur la livraison de « 50 milliards de mètres cubes de gaz » par an via ce futur gazoduc. Soit le volume annoncé par le ministre de l’énergie russe de la baisse des livraisons de gaz fossile vers l’Europe en 2022.
A la question de savoir si Force de Sibérie 2 allait « remplacer » Nord Stream 2 dans la stratégie énergétique russe, il a d’ailleurs résolument répondu « Oui ». Alexandre Novak a également rappelé que Force de Sibérie 1 continuait de monter en capacité, qu’il serait relié début janvier 2023 au champ de Kovytka, proche du lac Baïkal, pour faciliter cette hausse des livraisons.
Il a aussi précisé que Moscou et Pékin finalisaient un accord pour exporter « 10 milliards de m² de gaz supplémentaires » de Vladivostok (Extrême-Orient russe) vers le nord de la Chine.