Prix du gaz en Europe : une détente en trompe l’œil

Vue de loin, la situation du gaz naturel dans l’Union européenne pourrait marquer une nette amélioration : embouteillage de méthaniers ne livrant pas leur GNL au large de l’Espagne, cours du TTF néerlandais sous les 100 euros, prix du gaz sur le marché spot temporairement négatif fin octobre 2022… Pour autant, cette détente s’explique par des éléments conjoncturels (remplissage des réserves, températures plus douces qu’à l’habitude, ralentissement économique, sobriété…), qui ne protègent pas d’une nouvelle flambée des prix cet hiver, ou d’un risque de pénurie pour l’hiver 2023-2024.

La fin de ce mois d’octobre 2022 a été marqué par une situation oubliée sur le marché du gaz fossile dans l’Union européenne : une offre largement supérieure à la demande, des cours en forte baisse, et des méthaniers attendans de livrer leur GNL.

Les cours du TTF en net reflux cet automne

Voici en effet plusieurs semaines que des méthaniers tournent en rond, en Méditerranée et, surtout, au large des côtes atlantiques de l’Espagne, en quête d’un terminal de regazéification européen prêts à les accueillir, mais sans trouver preneur.

Cette situation a, logiquement, eu un impact sur les cours du gaz fossile : le TTF néerlandais est descendu, fin octobre 2022, sous la barre des 100 euros, pour la première fois depuis le mois de juin 2022. Son cours a ainsi baissé de 60 % par rapport à son niveau historique d’août, juste après la fin des livraisons russe vers l’Europe via Nord Stream 1.

Symboliquement, ce 25 octobre 2022, le prix du TTF sur le marché spot (pour achat immédiat) est même passé, brièvement, en terrain négatif, pour la première fois depuis 2019 : à ce moment, les clients qui achetaient du gaz sur le marché de gros étaient payés pour le faire !

Des réserves pleine pour l’hiver

Pour paradoxale qu’elle semble, cette situation n’a rien d’exceptionnelle, elle survient même assez régulièrement sur les marchés des matières premières, sur de très courtes périodes quand l’offre dépasse largement la demande.

Est-ce à dire que la crise du gaz est finie en Europe ? Loin, très loin s’en faut. Ces phénomènes sont en effet dus à une conjoncture très particulière. Pour commencer, les réserves de gaz naturel de l’Union européenne sont pleines à ras-bord, comme elles ne l’ont jamais été, avec un taux de remplissage historique de 93,6 % – une prouesse réussie en payant à prix d’or du GNL et du gaz russe (quand il était encore disponible).

Les pays de l’Union européenne n’achètent donc que le gaz qu’ils consomment. Cette contraction de la demande au début de l’automne est assez classique, et il n’est pas rare de voir de méthaniers faire la queue au large de l’Espagne dans cette période.

Une consommation en baisse par rapport à 2021

Qui plus est, ce mois d’octobre a été particulièrement doux, limitant fortement l’usage du gaz pour le chauffage et donc la consommation. Comme, dans le même temps, les prix élevés de l’énergie continue de ralentir la production industrielle européenne, la consommation du secteur manufacturier est elle aussi plus faible que d’habitude. Enfin, tous les pays de l’Union européenne ont mis en place des mesures de sobriété énergétique, qui contractent eux aussi la consommation gazière.

Des réserves pleines, une consommation plus basse que d’habitude : de quoi faire plonger les cours. Qui plus, le bal des méthaniers est également une information en trompe-l’oeil : certains trouvent en effet les cours sur le marché spot trop bas, et préfèrent attendre une hausse (très) probable des cours pour livrer leur GNL.

Selon Vincent Demoury, délégué général du GIGNL (International Group of Liquefied Natural Gas Importers), il n’y a plus « de créneaux disponibles en Europe en novembre » pour décharger les méthaniers, qui se transforment en stockage flottant temporaire « en attendant que les consommateurs aient besoin de gaz et que les prix soient plus attractifs ».

Vers une hausse des cours si les températures plongent, danger sur l’hiver 2023-2024

Mais cette situation ne durera donc pas. Elle peut même basculer à court terme : si les températures se mettent à chuter ou que la production industrielle repart à la hausse (grâce à la baisse des cours), le TTF a toutes les chances de bondir lui aussi.

Mais c’est toujours en vue de l’hiver prochain, 2023-2024, que la situation s’avère la plus critique : « le continent n’est pas sorti d’affaire. Avec les flux russes qui continuent de baisser, l’hiver 2023 sera encore plus difficile », prévoit Nikoline Bromander, analyste pour Rystad Energy.

En effet, l’Union européenne ne pourra sans doute plus compter sur le gaz russe pour remplir ses réserves à l’été prochain. Et la course aux sources alternatives va devenir d’autant plus complexe et critique.

Quand l’Allemagne et la France accusent les États-Unis de tirer les prix du GNL vers le haut

De quoi renforcer la position des pays exporteurs de GNL vers l’Europe, comme le Qatar ou les États-Unis, devenus cette année le premier fournisseur du Vieux continent, souvent à des prix très élevés.

Sur ce dossier, la diplomatie américaine vient de réagir (très) vivement aux affirmations des ministres français et allemands de l’Economie, Bruno Le Maire et Robert Habeck, qui ont récemment reproché aux États-Unis de vendre leur GNL à l’Union européenne « quatre fois le prix auquel ils le vendent à leurs industriels ».

Brad Crabtree, secrétaire adjoint à l’énergie pour les énergies fossiles dans l’administration Biden, a dénoncé fermement les « récentes allégations concernant les prix abusifs imposés par les producteurs américains de GNL ».

Les USA démentent, et accusent les intermédiaires de jouer sur la hausse des cours

« Je veux être très clair: ces affirmations sont carrément fausses. La grande majorité du gaz naturel liquéfié produit et exporté des Etats-Unis est liée à des contrats à long terme, et cela relève domaine public (…) Les prix à l’export du GNL américain restent proches de celui en cours sur notre marché domestique », précise-t-il.

Il reconnaît certes que les destinataires de ces contrats à long terme, compagnies pétrolières non-américaines et courtiers en énergie, ne se gênent pas pour faire gonfler la note quand ils vendent le GNL américain en Europe, mais, pour Brad Crabtree, « c’est une affaire qui doit être résolue entre les pays européens et ceux qui font du trading avec le GNL américain ».

Il a enfin rappelé (avec raison) que l’Oncle Sam faisait tout pour assurer la sécurité énergétique de l’Union européenne, avec trois pays (dont la France) dans le top 5 des destinations du GNL US.

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A propos de l'auteur Carole Carpentier

Tout juste titulaire d'une double master journalisme/biologie moléculaire, Carole Carpentier rejoint la rédaction du gaz.fr tout en continuant, en parallèle, de mener à bien ses études.

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