Ce 27 octobre 2022, le Premier ministre israélien Yaïr Lapid a signé un accord historique sur la frontière maritime entre le Liban et Israël, préalablement validé par le gouvernement libanais. Ce texte sépare clairement les zones d’exploitation des gisements gaziers de Méditerranée orientale des deux pays, accordant l’intégralité de Karish à Israël, et tous les droits de Cana au Liban (qui rémunérera Israël pour le gaz situé dans ses eaux). A la veille d’élections législatives sous haute tension, Yaïr Lapid a par ailleurs voulu faire de cet accord une « reconnaissance » d’Israël pour le Liban, qui a démenti.
La volonté de profiter de la manne gazière est-il en train d’apaiser les tensions en Méditerranée orientale ? Alors que la Turquie donne des signes de bonne volonté et semble déterminée à respecter les eaux territoriales de la Grèce et de Chypre, ce sont les vieux ennemis libanais et israéliens qui sont parvenus, enfin, à un accord sur leur frontière maritime (qui devrait par contre-coup faciliter le réglement du même litige entre le Liban et Chypre).
Le Hezbollah libanais survole le champ offshore de Karish avec un drone
Les deux pays sont officiellement toujours en guerre depuis 1948, aucune paix n’ayant été signée entre eux. Et les relations diplomatiques bilatérales sont inexistantes. C’est donc sous l’égide des États-Unis et de l’ONU que Liban et Israël tentaient, depuis 2015, de délimiter leur frontière maritime pour se partager les énormes réserves gazières découvertes dans leurs eaux territoriales.
Avec la hausse de la demande gazière en Europe suite à la rupture d’approvisionnement avec la Russie et la crise économique dans laquelle le Liban est englué, cette problématique a ressurgi avec force en cette année 2022, en particulier quand Israël a envoyé un navire de forage dans le champ offshore de Karish, situé dans une zone contestée par le Liban (même si en dehors de ses eaux territoriales dans toutes les propositions d’accord déposées préalablement par Beyrouth).
Le Hezbollah avait mis la pression sur Tel-Aviv en envoyant un drone survoler la zone, faisant craindre un attentat si Israël démarrait l’exploitation sans formaliser un accord avec le Liban.
Israël et le Liban s’entendent sur leur frontière maritime
Tout en poursuivant les manœuvres préparatoires à l’exploitation de Karish, Israël a donc accéléré les discussions avec son voisin libanais, toujours accompagnés par des négociateurs américains, soutenus par la France. L’accord a été formalisé vers la mi-octobre, puis est passé entre toutes les entités politiques ayant à le valider, en Israël comme au Liban, notamment les gouvernements et les assemblées.
En Israël, l’opposition de droite menée par Benjamin Netanyahu a tenté d’annuler l’accord, en réclamant un référendum puis en le contestant devant la Cour suprême. Mais toutes ces demandes ont été rejetées, et, ce 27 octobre 2022, le Premier ministre israélien Yaïr Lapid a pu signer l’accord sur la frontière maritime avec le Liban.
Le champ de Karish pour Israël, celui de Cana pour le Liban
Selon les termes de cet accord, le champ de Karish est entièrement dans les eaux israéliennes en Méditerranée orientale. Energoam avait d’ailleurs commencé la production du gisement dès le 26 octobre, sentant la finalisation de l’accord proche. L’entreprise a l’ambition d’y porter la production annuelle à 6,5 milliards de m³ de gaz naturel, puis à terme à 8 milliards de m³.
Le Liban obtient de son coté tous les droits d’exploration et d’exploitation du champ de Cana, situé plus au nord-est, dont une partie dans les eaux territoriales d’Israël. Mais « Israël sera rémunéré » par la firme exploitant Cana « pour ses droits sur d’éventuels gisements », selon le texte.
Yaïr Lapid voit dans l’accord une reconnaissance d’Israël par le Liban, pas Michel Aoun
D’un point de vue politique, Yaïr Lapid a voulu voir dans la signature de cet accord une reconnaissance d’Israël par le Liban (même en l’absence d’un consensus sur la frontière terrestre entre les deux pays). « Il s’agit d’un accomplissement politique, ce n’est pas tous les jours qu’un Etat ennemi reconnaît l’Etat d’Israël dans un accord écrit et ce, devant l’ensemble de la communauté internationale », a-t-il affirmé.
Un message à la visée limpide, à la veille des élections législatives de ce 1er novembre, mais contesté par le président libanais Michel Aoun, pour qui l’accord est « purement technique » et ne comporte aucune « dimension politique ».
Israël « a l’habitude de prendre aux Arabes, mais cette fois, c’est nous qui lui avons pris ».
Le président libanais, qui doit lui aussi quitter le pouvoir cette semaine, a par ailleurs reconnu que l’intimidation du Hezbollah avait joué un rôle « dissuasif » dans les négociations avec Israël.
« Le lancement des drones vers le champ gazier de Karish n’a pas été coordonné avec le gouvernement. C’était une initiative prise par le Hezbollah et elle a été utile », a précisé M. Aoun, qui a même osé verser dans le triomphalisme, en affirmant qu’Israël « a l’habitude de prendre aux Arabes, mais cette fois, c’est nous qui lui avons pris ».
Ce 29 octobre 2022, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a de son coté déclaré que l’accord était « une grande victoire pour le Liban, en tant que nation et en tant que résistance« , tout en limitant sa portée politique.
Pour le Hezbollah, le Liban a obtenu « 95% de ce qu’il voulait »
« Les négociations étaient indirectes, le Liban ne s’est pas assis à côté d’Israël sous la même tente. Le document libanais ne contient pas de signature israélienne (…) Ce n’est pas un accord international, ce n’est pas une normalisation ou une reconnaissance d’Israël et il n’y a pas de garanties de sécurité », ajoute Hassan Nasrallah.
Il a aussi souligné que l’accord comportait un ultime point problématique, celui de « la ligne des bouées », une démarcation mise en place par Israël après son retrait du sud-Liban en 2000, que le Liban n’a jamais reconnu et qui figure bel et bien sur l’accord.
« Nous ne pouvons pas dire que le Liban a obtenu 100% de ce qu’il voulait dans cet accord, car il reste une petite portion de 2,5km2 qui est occupée par l’ennemi et qui appartient à nos eaux territoriales. Il est du devoir du Liban d’œuvrer à tout moment pour libérer cette zone. Si l’on dit que le Liban a obtenu 95% de ce qu’il voulait, cela n’est toutefois pas exagéré », a conclu le chef du Hezbollah.