Ce 13 novembre 2022, la première cargaison de GNL de l’histoire du Mozambique a quitté le pays pour les réservoirs et tankers du géant britannique BP. Saluée avec enthousiasme par le président mozamicain Filipe Nyusi, qui y voit le début d’une ère de prospérité pour son pays, cette première laisse ouverte de nombreuses questions : quel avenir pour les autres gisements du Cabo Delgado ? Qui bénéficiera vraiment de la manne gazière, estimé à 100 milliards de dollars sur 25 ans ? Et ce choix de développement est-il cohérent avec un monde en plein bouleversement climatique ?
Voici une dizaine d’années que le Mozambique sait qu’il bénéficie d’importantes réserves de gaz fossile offshore, au large de la province du Cabo Delgado, qui pourrait faire du pays l’un des dix premiers producteurs mondiaux d’hydrocarbures.
Incessantes attaques djihadistes sur le Cabo Delgado
La valorisation de cette manne énergétique et économique s’est toutefois heurté à la réalité des violences qui secoue le Cabo Delgado, une province pauvre à majorité musulmane, située à la frontière avec la Tanzanie, et théâtre depuis 2017 d’incessantes attaques djihadistes, qui ont fait près de 3 500 morts.
En avril 2021, une offensive meurtrière sur le chantier du projet d’exploitation de TotalEnergies, dans la zone « 1 » (la plus proche des côtes) pousse le groupe français à le suspendre sine die. ExxonMobil renonce peu de temps après à un autre projet à proximité du littoral.
La première livraison de GNL mozambicain a quitté le pays
En revanche, la zone « 4 » située plus au large (et dont l’exploitation a été confié à un consortium international comprenant notamment l’italien Eni, l’américain ExxonMobil, le chinois CNPC, le sud-coréen Kogas et le portugais Galp Energia) est à l’abri des djihadistes, et les premiers forages, dans le gisement Coral, menés par Eni, ont pu se dérouler comme prévus.
L’énergéticien y a construit également une plateforme flottante de liquéfaction de gaz fossile en eaux profondes, la première d’Afrique, baptisée Coral Sud et d’une capacité de 3,4 millions de tonnes de GNL par an.
Et, ce 13 novembre 2022, c’est sous l’oeil satisfait du président du Mozambique Filipe Nyusi que la première cargaison de GNL, a quitté le pays. « C’est avec grand honneur que j’annonce le début de la première exportation de gaz naturel liquéfié », s’est félicité le dirigeant. Pour lui, le Mozambique offre « un environnement stable, transparent et prévisible pour la réalisation d’investissements de plusieurs milliards ».
« Sécurité énergétique de l’Europe », vraiment ?
Le PDG d’Eni, Claudio Descalzi a salué une « avancée significative » dans le ambitions de l’énergéticien de « contribuer de manière significative à la sécurité énergétique de l’Europe, notamment par la diversification croissante des approvisionnements ».
Il oublie tout de même de préciser que le gaz produit par Coral Sud est déjà acheté, depuis des années, par le géant britannique BP, dans le cadre d’un contrat sur le long terme, et qu’il permettra surtout d’enrichir la major pétrolière, qui pourra revendre ce GNL très cher sur des marchés avides de cette ressource, en particulier à l’Union européenne.
Reste à savoir ce qu’il adviendra des autres gisements du Cabo Delgado, en particulier les plus proches des côtes, dans un contexte où les raids djihadistes restent une réalité quotidienne. Pour le reste de la zone « 4 », Eni et ExxonMobil préparent la construction d’une seconde plateforme de liquéfaction de gaz, et prévoient de nouveaux forages dans les mois qui viennent.
Que va faire le Mozambique de l’argent du gaz ?
Autre interrogation majeure : que va faire le Mozambique de cette manne gazière ? A l’été 2022, le président Nyusi a annoncé la création d’un fonds souverain pour gérer le gaz produit, afin de financer le développement du pays, amortir les chocs externes et supporter la volatilité des prix.
Dans la société civile mozambicaine, des voix s’élèvent également pour réclamer une juste répartition de ces ressources vers la population, en particulier les plus pauvres, notamment dans le Cabo Delgado même. Les évêques mozambicains ont ainsi rappelé que l’extrême pauvreté, en particulier chez les jeunes, génère une forte pression pour recruter de nouvelles recrues dans les rangs djihadistes, par « l’absence d’espoir en un avenir meilleur ».
« Aucune paix ne survit à l’exclusion et à l’injustice sociale », affirment aussi les évêques, qui mettent aussi en garde contre la corruption et « la cupidité », qui conduisent « parfois à favoriser de grands projets économiques de capitaux étrangers pour exploiter les ressources naturelles sans une implication réelle et transparente des populations ».
L’Afrique entre hydrocarbures et renouvelables
Au-delà du Mozambique, cette annonce d’exportation du GNL a eu lieu en plein milieu de la COP27, qui se tenait en Égypte, à Charm el-Cheikh, où des activistes climatiques africains invitaient le continent à se tourner vers d’autres solutions énergétiques que l’exploitation du gaz naturel, à l’impact carbone désastreux.
« Pour nous aider à nous attaquer au défi de notre pauvreté énergétique, nous devons exploiter le potentiel incroyable dans les énergies renouvelables qui existe en Afrique », défendait ainsi Mohamed Adow, directeur de Power Shift Africa, refusant que l’Afrique deviennent « la station-service » de l’Europe.
Mais ce message a trouvé peu de relais au niveau politique : les dirigeants africains défendent pour la plupart l’idée que l’exploitation du gaz n’augmentera que peu les émissions de l’Afrique (du moins les émissions directes, car la majorité de ce gaz sera exporté, contribuant ainsi à prolonger l’ère mondiale des fossiles), et qu’il permettra d’électrifier les pays, en renonçant au passage au fioul et au charbon comme combustibles pour produire de l’électricité, pour un impact carbone bien meilleur.
Les investissements dans les fossiles pourraient se transformer en « actifs échoués »
« Nous sommes pour une transition verte juste et équitable en lieu et place de décisions qui portent préjudice à notre processus de développement », a notamment défendu à la tribune de la COP27 Macky Sall, président du Sénégal.
Mais, comme l’affirme Thuli Makama, de Oil Change International, « l’histoire montre que l’extraction dans les pays africains ne s’est pas traduite en développement » ou « en accès à l’énergie pour les gens ».
Certains analystes craignent aussi que la soif de gaz du monde se tarisse rapidement face à l’urgence climatique, et que les pays africains qui auront investi dans cette ressources se retrouvent avec « des actifs échoués, des frais de dépollution et toute la dévastation qui accompagne cette industrie ».