Le Qatar a profité de l’ouverture de « sa » Coupe du Monde de football pour annoncer la signature d’un méga-contrat de fourniture de GNL sur long terme (27 ans) avec la Chine, tout en multipliant les signes en direction de l’Union européenne pour obtenir de tels contrats, malgré la réticence de la Commission et d’une majorité d’États membres.
Bad buzz is still buzz. Malgré les multiples contestations, la Coupe du Monde de football 2022 qui se tient au Qatar reste un magnifique coup d’éclat pour le soft power qatari, dans une période où sa position d’allié stratégique de l’Occident lui donne un poids géopolitique certain.
La manne gazière du Qatar attire l’Union européenne
En effet, le tarissement progressif des flux de gaz russe vers l’Union européenne pousse le Vieux continent à chercher de nouveaux partenaires, et la manne gazière du Qatar attire forcément des convoitises.
L’émirat gazier a d’ailleurs profité d’un contexte international particulièrement favorable pour accélérer la valorisation de sa part du champ gazier North Field (qui renferme environ 10 % des réserves mondiales de gaz), afin de tenir son objectif d’une production de GNL en hausse de 60 % d’ici 2027, à 126 millions de tonnes annuelles.
Le Qatar n’exploite pour l’heure que la partie nord de North Field, mais a lancé deux projets pour mettre en forage les parties sud et est, North Field South (NFS) et North Field East (NFE).
Accord avec des majors pétrolières pour exploiter le sud et l’est du champ gazier de North Field
Fin octobre 2022, l’américain ConocoPhillips a signé un contrat pour prendre le contrôle de 6,25 % de NFS, rejoignant le français TotalEnergies et l’anglo-néerlandais Shell (chacun 9,37%), l’entreprise publique QatarEnergy conservant 75 % des parts.
Même fonctionnement pour NFE, où QatarEnergy contrôle 75 % des parts, et les compagnies étrangères 25 %, dont 6,25 % pour TotalEnergies, Shell et l’américain ExxonMobil, et 3,125 % pour ConocoPhillips et l’italien Eni.
La présence de plusieurs compagnies européennes dans ces projets peut laisser supposer que l’Union européenne saura en tirer partie pour sécuriser son approvisionnement en gaz.
Le Qatar veut convaincre l’Union européenne de signer des contrats sur le long terme
Rien n’est moins sûr, car le Vieux continent refuse de signer des contrats d’approvisionnement en gaz sur le long terme. D’abord par idéologie libérale, mais surtout pour ne pas freiner la transition énergétique de l’Union européenne et son abandon progressif des combustibles fossiles.
Or le Qatar, comme la plupart des pays producteurs de GNL, préfère, à la volatilité des marchés spot, la sûreté d’un contrat sur le long terme, quitte à le signer avec une compagnie pétrolière, qui revendra ensuite le gaz sur les marchés mondiaux. Et Doha souhaite que l’Union européenne signe des contrat sur le long terme avec QatarEnergy.
Coup de pression diplomatique qatari
C’est ainsi qu’il faut comprendre le coup de pression diplomatique du ministre qatari de l’énergie, fin octobre 2022, quand il a déclaré que la crise énergétique que traverse l’Union européenne pourrait être « bien pire » en 2023.
Cette sortie a d’autant plus de poids que Saad Sherida Al-Kaabi a, factuellement, probablement raison. En effet, les pays de l’Union européenne ont rempli leurs réserves de gaz, cette année, en partie avec des importations russes, importations qui devraient être réduites au minimum (voire à néant) en 2023.
Et comme les autres fournisseurs par gazoduc (Norvège et Algérie en tête) sont déjà en flux tendus, et que les grands producteurs de GNL disposent pour la plupart de contrats sur le long terme avec des États ou des compagnies pétrolières, les marges pour obtenir du gaz risquent d’être fortement réduites.
Storengy se veut optimiste pour les réserves de l’hiver 2023-2024…
Le problème pourrait même ne pas être tant le prix du gaz que sa disponibilité. Certes, Storengy, la filiale d’Engie dédiée au stockage de gaz, s’est montrée mi-novembre « optimiste » pour le remplissage des réserves de l’Union européenne en vue de l’hiver 2023-2024, tablant notamment sur des réserves mieux remplies à la fin de cet hiver.
« Ca a aussi un impact pour l’hiver prochain, parce que si vous terminez avec des réserves assez confortables en fin d’hiver, vous aurez moins besoin de gaz pour les remplir », a ainsi déclaré Pierre Chambon, directeur général de Storengy France, qui tablait sur des réserves remplies entre 30 et 35 % en fin d’hiver.
… quand l’AIE se montre alarmiste
Mais cette voix reste assez isolée (et l’annonce a eu lieu avant la vague de froid de fin novembre) : début novembre 2022, un rapport de l’Agence internationale pour l’énergie estimait ainsi qu’il pourrait manquer jusqu’à 30 milliards de m³ à l’Union européenne en vue de l’hiver prochain.
Pour ne rien arranger, la Chine, en prévision de sa reprise économique pour 2023, a demandé à ses compagnies de ne plus revendre de gaz à l’Europe ou à d’autres pays d’Asie, malgré les cours élevés.
La météo comme juge de paix
En fait, tout dépendra probablement, in fine, de la météo : une fin d’hiver 2022-2023 rigoureuse, ou un hiver 2023-2024 particulièrement froid pourraient s’avérer mortel pour l’approvisionnement gazier de l’Union européenne.
Et le Qatar, en appuyant sur ce point précis, rappelle aux Vingt-Sept qu’il est toujours disposer à signer des contrats sur le long terme avec les pays de l’Union européenne, un partenaire économique stable et un allié stratégique. Des contrats qui renforceraient l’influence qatari sur l’Occident.
Le Qatar signe un accord de fourniture sur 27 ans avec la Chine
Et c’est avec la Chine que QatarEnergy a signé, ce 21 novembre 2022, un accord d’approvisionnement en GNL sur 27 ans, affirmant qu’il s’agissait de « la plus longue durée » jamais vue dans cette industrie.
Saad Sherida Al-Kaabi a précisé que QatarEnergy fournirait à Sinopec (China Petroleum and Chemical Corporation) quatre millions de tonnes de GNL annuels, issu de l’exploitation du champ North Field.
Cette annonce, faite le lendemain de l’ouverture de la Coupe du Monde 2022, semble un clin d’œil appuyé à l’Europe, invitée une fois encore à signer ce type de contrat avec l’émirat gazier.