Un récent rapport de The Shift Project alerte l’Union européenne sur le fait que la crise du gaz naturel n’a pas pour unique cause la guerre en Ukraine et le désengagement de la Russie, mais qu’elle répond à des soucis structurels d’approvisionnement, dans un marché mondial où la demande dépasse l’offre. Les cours du gaz devraient rester extrêmement élevés jusqu’en 2024 au moins, et le think tank invite l’Union européenne à accélérer son désengagement des énergies carbonées, gaz naturel en tête. Pendant ce temps, l’Allemagne échoue à faire baisser sa consommation de gaz, et l’inquiétude monte en vue des hivers prochains.
L’Union européenne doit-elle se préparer à manquer de gaz de façon permanente ? C’est une hypothèse que met sur la table un récent rapport de The Shift Project, le think tank sur les questions énergétiques et climatiques fondé par Jean-Marc Jancovici.
La crise gazière a commencé avant l’invasion de l’Ukraine, et a des racines structurelles
Destiné au ministère de la Défense, et rendu public ce 6 décembre 2022, ce rapport s’appuie sur des analyses du cabinet d’expertise Rystad Energy, et défend l’idée que la crise gazière dont souffre l’Union européenne répond à une dynamique structurelle, et pas uniquement à l’asséchement de l’approvisionnement russe suite à la guerre menée en Ukraine et aux sanctions internationales qui en découlent.
« En réalité, cette crise a commencé en septembre [2021], au moment de la reprise post-Covid, et elle a été aggravée par la guerre en Ukraine », pointe Matthieu Auzanneau, directeur du Shift Project.
Cette crise répond à une dynamique mondiale de hausse des besoins en gaz naturel, tant pour soutenir le développement ou l’électrification de pays émergents que pour assurer une transition énergétique, les centrales électriques au gaz (les moins émettrices de CO2 de toute les centrales thermiques fossiles) remplaçant des centrales au charbon.
Une demande en gaz qui devrait continuer d’exploser, notamment en Asie
Et la demande de l’Asie en gaz naturel va continuer à augmenter, surtout si la Chine sort enfin de la crise sanitaire du Covid-19 et relance pleinement son industrie. Et comme les probables nouvelles interconnexions gazières entre la Russie et la Chine ne devraient pas entrer en service avant quelques années, Pékin va continuer de s’approvisionner sur le marché mondial.
Dans le même temps, l’Union européenne est fragilisée par sa frilosité à signer des contrats d’approvisionnement sur le long terme en gaz naturel (un choix qui s’explique par une volonté de décarboner l’économie, et donc ne pas se lester de contrats gaziers sur le long terme, et par un dogme libéral préférant favoriser les prix de marché spot).
Là où la plupart des États et la totalité des compagnies pétrolières bénéficient de contrats d’achat sur le long terme, signés avant l’explosion des prix du gaz, et donc à des tarifs raisonnable, l’Union européenne doit acheter le gaz que la Russie ne lui livre plus sur les marchés internationaux, en particulier du GNL, dont les cours ont explosé.
40 % des besoins de l’Union européenne en gaz pour 2025 en danger
Et les différents nouveaux projets de forage mis en chantier dans le monde ne devraient eux aussi n’entrer en activité que dans plusieurs années, ne permettant pas de détendre la demande mondiale.
Le rapport du Shift Project estime ainsi que 40 % des besoins en gaz de l’UE en 2025 risquent de ne pas être pourvus ou reposent sur « des sources d’approvisionnement non identifiées », donc probablement du GNL qu’il faudra payer au prix fort – avec des conséquences déjà sensibles sur l’industrie, les finances publiques et / ou le budgets des ménages (en fonction des politiques menées par chaque État).
Rystad prévoit ainsi des prix hors norme en Europe au moins jusqu’en 2024. Mais, en cas de tensions sur le GNL, ce « retour à la normale pourrait ne pas advenir », avec un risque réel de « destruction de la demande », via une disparition de pans entiers de l’industrie européenne – à l’heure où la stratégie de l’UE est plutôt à la réindustrialisation.
L’UE paye (cher) son retard dans la sortie des énergies fossiles
Le rapport indique également, coté européen, d’autres causes structurelles, notamment « près de deux décennies de déclin de la production gazière en Europe (mer du Nord britannique et néerlandaise), et au retard tout aussi ancien dans la sortie des énergies fossiles ».
The Shift Project se montre très critique sur les choix énergétique de l’Union européenne, qui a continué de miser trop largement sur les combustibles fossiles et n’a pas fait assez d’effort de sobriété énergétique : « il y a un droit d’inventaire à faire sur la politique énergétique européenne », tacle Matthieu Auzanneau, qui parle « d’aveuglement, dont on paie les conséquences ».
Aller « vers une économie sobre en énergie et en matière » est « un enjeu existentiel pour l’UE »
La conclusion du rapport est limpide : « La transformation vers une économie sobre en énergie et en matière, avec le développement de sources d’énergie bas-carbone, apparaît comme un enjeu existentiel pour l’UE, face à l’ampleur des risques et incertitudes que cumule notre situation précaire ».
Reste que, sur la question de la sobriété, les voyants à court terme sont loin d’être au vert : en Allemagne, la consommation de gaz a ainsi connu une très forte augmentation durant la dernière semaine de novembre, poussée par des températures en baisse, et s’est située bien au-dessus des objectifs gouvernementaux.
« La consommation (…) a augmenté de 14% comparé à la semaine précédente. L’objectif d’économies est donc clairement manqué », a indiqué, fataliste, la BNetzA, l’autorité fédérale de régulation des réseaux pour l’électricité, le gaz, les télécommunications, les postes et les chemins de fer.