Les dirigeants d’Israël et de Chypre ont évoqué, en mai 2023, l’avenir du gazoduc EastMed, censé relier les champs gaziers de Méditerranée orientale à l’Union européenne, via Chypre, la Crête et la Grèce continentale. Contesté pour son impact écologique et les risques géopolitiques qu’il pourrait induire, en particulier avec la Turquie, le projet pourrait basculer vers une solution mixte gazoduc-GNL. Le pipeline se contenterait de relier les champs gaziers israéliens et chypriotes à Chypre, qui se doterait d’une usine de liquéfaction du gaz fossile pour l’exporter vers l’Europe. Une solution plus rapide, plus simple, plus économique… mais, paradoxalement, aux émissions de gaz à effet de serre supérieures.
Le projet de gazoduc EastMed, permettant de relier les champs gaziers de Méditerranée orientale à l’Union européenne, via Chypre, la Crête, la Grèce continentale et finalement l’Italie, a été reconnu en 2013 comme « projet d’intérêt commun » par l’Union européenne, et a reçu, à ce titre, des subventions européennes.
Quel avenir pour EastMed, le gazoduc reliant la Méditerranée orientale à l’Union européenne ?
Mais le projet s’est, d’emblée, heurté à de nombreuses oppositions, depuis les militants climatiques jusqu’aux politologues, craignant une escalade de tensions dans la zone, avec le cas brûlant de Chypre du Nord et des zones économiques exclusives (ZEE) maritimes contestées.
En janvier 2022, les États-Unis ont porté un rude coup au projet, en annonçant qu’ils ne le financeraient pas, préférant se concentrer sur les liaisons électriques dans la Méditerranée, pour favoriser le développement des renouvelables. En mars 2023, des activistes de Greenpeace ont manifesté devant le siège de la Commission européenne, dénonçant, EastMed comme un « fauteur de guerre » et une « bombe climatique ».
Chypre et Israël s’entendent sur le principe d’un gazoduc reliant les champs gaziers à Chypre
Début mai 2023, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a reçu le président chypriote Nicos Christodoulides à Jérusalem. A l’issue de cette discussion, Benjamin Netanyahou a affirmé qu’un gazoduc allait être construit des gisements gaziers offshore jusqu’à Chypre, esquissant la réalisation du début du projet.
Le 15 mai 2023, le ministre chypriote de l’Energie, du Commerce et de l’Industrie, Giorgos Papanastasiou, confirmait cette annonce. « Ce qui vient en premier dans la phase actuelle est la signature d’un accord entre les deux pays, qui permettra la construction d’un gazoduc pour relier les zones économiques exclusives (ZEE) des deux pays. Nous commencerons par là », précise-t-il.
La veille, Benjamin Netanyahou avait indiqué que « le projet dont nous avons discuté porte sur l’approvisionnement de gaz israélien à l’Europe via le gazoduc depuis notre champ gazier et à destination d’une immense unité de liquéfaction qui sera construite à Chypre ».
Remplacer EastMed par un petit gazoduc et un corridor de GNL
Cette double annonce indique un changement de stratégie d’Israël et de Chypre sur ce dossier, explicité par Giorgos Papanastasiou : plutôt que de construire un immense gazoduc de 2 000 kilomètres, un projet pharaonique qui risquerait une mise en service à un moment où l’Union européenne aura considérablement réduit sa consommation de gaz fossile, Chypre milite pour un corridor de GNL.
Dans le détail, seul serait construit, le gazoduc reliant les champs gaziers de Leviathan (Israël) et d’Aphrodite (Chypre) à Chypre. Selon Giorgos Papanastasiou, une telle infrastructure pourrait être construite et mise en service en 18 mois.
Il permettrait ainsi de rapidement convertir au gaz la production d’électricité chypriote, assurée majoritairement par des centrales au fioul, et réduire ainsi les émissions de gaz à effet de serre du pays, tout en sécurisant son approvisionnement électrique.
Plus rapide, plus économique, plus simple
Parallèlement, une immense usine de liquéfaction du gaz fossile serait construite à Chypre. Elle mettrait, selon Giorgos Papanastasiou, deux années et demi à sortir de terre, et permettrait d’exporter, sous forme de GNL, le gaz de la Méditerranée orientale vers l’Union européenne.
Les avantages seraient nombreux pour Israël et Chypre : un coût réduit, des travaux plus légers et donc plus rapides, et la possibilité d’exporter le gaz ainsi liquéfié ailleurs qu’en Europe, vers les lucratifs marchés asiatiques par exemple. L’impact environnemental direct du projet serait également réduit.
Un point noir climatique
Finalement, le point noir principal sera, paradoxalement, climatique. En effet, liquéfier et regazéifier du gaz fossile sont deux opérations qui émettent des gaz à effet de serre, et induisent des pertes. Il semble certes probable que l’usine de GNL chypriote soit dotée d’un dispositif de capture et de séquestration de carbone, limitant un peu cet impact.
Mais il n’en reste pas moins que les émissions nettes provoquées par l’utilisation, en Union européenne, de gaz produit en Méditerranée orientale seront nettement plus importantes en le transportant sous forme de GNL plutôt que par gazoduc.
Mais, alors que la Turquie semble plus encline à accepter l’exploitation par Chypre et la Grèce de leurs réserves gazières sous-marines, cette voie semble la plus probable et la plus simple pour valoriser la manne gazière en l’exportant vers l’Europe.