Un rapport de l’Oxford Sustainable Finance Group, publié en mai 2023, trace un chemin réaliste pour que l’Union européenne remplace l’ensemble du gaz russe consommé avant le début de la guerre en Ukraine par des énergies renouvelables, par l’installation massive de centrales EnR et de pompes à chaleur, alliés à des efforts de sobriété et d’efficacité énergétique. Le surcoût serait conséquent, de l’ordre de 512 milliards d’euros, compensés à moitié par les économies d’exploitation réalisés par l’abandon du gaz fossile. Mais ce choix aurait aussi de (très) nombreux effets bénéfiques, qui pourraient faire penser la balance du coté de l’ambition.
L’Union européenne est-elle à l’orée d’une révolution ? La dernière directive sur les renouvelables, en cours de finalisation, propose un profond changement d’échelle, tant sur le volet industriel que sur la production d’électricité, avec des investissements colossaux. Son but est de tenir l’objectif des 50 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Un rapport propose de remplacer le gaz russe par des technologies bas carbone
Le plan de réduction des émissions françaises, présentés par le gouvernement d’Élisabeth Borne le 22 mai 2023, assorti d’un rapport de France Stratégie invitant à investir massivement dans la décarbonation, quitte à laisser filer la dette publique et à renoncer à quelques points de croissance, va dans le même sens.
C’est dans ce contexte que l’ONG Oxford Sustainable Finance Group a présenté, en mai 2023, un rapport proposant un angle d’attaque original pour la décarbonation : celui de remplacer d’ici 2028 l’équivalent de l’ensemble du gaz fossile russe consommé par l’Union européenne avant l’invasion de l’Ukraine par des technologies vertes (centrales renouvelables et pompes à chaleur), de l’efficacité énergétique et de la sobriété.
Baptisé Race to Replace – The economics of using renewables to free Europe from Russian Gas (Course au remplacement – L’économie de l’utilisation des renouvelables pour libérer l’Europe du gaz russe), il présente un plan d’action ambitieux, chiffré et détaillé, qui impose de profonds changements réglementaires, industriels, et des choix politiques forts. Mais qui demeure réaliste.
L’Union européenne s’est libérée du gaz russe, mais pour le remplacer, en grande partie, par des solutions fossiles
Certes, en apparence, une bonne partie du chemin a été accompli. Comme le souligne Lauri Myllyvirta, une des autrices du rapport : « Les importations de gaz russe de l’UE ont déjà diminué de trois quarts par rapport aux niveaux précédant l’invasion de l’Ukraine par la Russie ». Mais cette réussite est en trompe-l’œil.
Car cette chute des importations russes a été rendue possible par une baisse de la consommation énergétique (souvent à marche forcée, avec de nombreux industriels européens à l’arrêt forcé devant les prix du gaz, et facilitée par un hiver 2022-2023 très doux), un remplacement du gaz russe par du GNL, acheté à prix d’or sur les marchés internationaux, et, secondairement, par un recours accru au charbon.
Le remplacement du gaz par des solutions bas-carbone n’a joué qu’à la marge, ce qui s’explique par la relative lenteur de déploiement de ces solutions. Au final, les émissions de l’Union européenne ont à peine baissées en 2022.
Un approvisionnement européenne payé au prix fort
Au niveau mondial, l’impact a même été probablement négatif : en captant une part importante du GNL disponible sur les marchés mondiaux (dont du GNL américain produit à partir de gaz de schiste, à l’impact carbone désastreux), l’Union européenne en a privé de nombreux pays émergents, Inde, Bangladesh ou Indonésie en tête, qui ont du, pour compenser, faire tourner à plein leurs centrales au charbon.
La sécurité énergétique européenne a donc été payée au prix fort. Le rapport Race to Replace propose une autre stratégie : un déploiement massif, volontariste et accélérées des centrales renouvelables et des pompes à chaleur.
Quel coût pour remplacer le gaz russe par des EnR ?
Ce choix énergétique aurait un coût estimé à 811 milliards d’euros d’investissement d’ici 2028, répartis entre les énergies renouvelables (706 milliards d’euros) et les pompes à chaleur (105 milliards d’euros). Le scénario de statu quo, celui de conserver la trajectoire prévue actuellement par le Green Deal européen et le plan REPowerEU, imposerait des investissements de 299 milliards d’euros.
Les investissements supplémentaires seraient donc de 512 milliards d’euros, soit une hausse de 70 %. Mais, soulignent les auteurs du rapport, un tel choix permettrait aussi de faire des économies sur l’utilisation des technologies carbonées, gaz fossile et charbon.
« Le remplacement du gaz naturel russe par différentes mesures – rénovation, rénovation, gains d’efficacité des pompes à chaleur et utilisation d’électricité renouvelable – permet d’économiser 254 milliards d’euros », peut-on lire dans le rapport, soit près de la moitié de l’investissement supplémentaire.
Des avantages conséquents à décarboner l’énergie européenne
Mais ce surcoût induirait aussi de nombreux avantages, notamment « d’atteindre simultanément le double objectif de la sécurité énergétique et de l’atténuation du changement climatique de manière accélérée », tout en soutenant l’industrie européenne (si les bons choix politiques sont faits), et en maîtrisant davantage les prix de l’énergie, y compris pour les citoyens.
Une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre aurait aussi un impact sur les dépenses de santé liées aux maladies provoquées par la pollution atmosphérique, qui se chiffrent en dizaines (sinon en centaines) de milliards d’euros.
Pour autant, un tel scénario « nécessitera un environnement politique plus favorable, notamment des autorisations plus rapides pour l’électricité renouvelable, des chaînes d’approvisionnement diversifiées et sûres, une isolation généralisée des installations et un écosystème de subventions et de financement favorable », peut-on lire dans le rapport.
Changer les politiques publiques, réaliser d’importants investissements, renforcer les compétences
Les auteurs pointent trois priorités absolues pour réussir un tel tour de force. Le premier est une amélioration des politiques publiques européennes et nationales, « en mettant en œuvre des politiques ambitieuses et plausibles », par des incitations, des obligations, des procédures accélérées, un soutien généralisé.
Seconde priorité, déjà évoquée : réaliser d’importants investissements. Troisième priorité : renforcer les compétences et les capacités industrielles de l’Union européenne. C’est d’ailleurs une ligne de force des politiques européennes et nationales récentes, avec un plan européen en faveur de « l’industrie verte » ou des propositions réglementaires en France sur le même thème. Le risque est en effet connu : de basculer d’une dépendance (le gaz russe) à une autre (les technologies vertes produites en Chine).
Le but est donc de relocaliser le plus rapidement possible les technologies liées à la transition énergétique (construction d’éoliennes, de panneaux photovoltaïques, de batteries Lithium-Ion pour les véhicules électriques et le stockage stationnaire, de pompes à chaleur…), en réalisant d’importants et de rapides efforts de formation pour répondre aux besoins d’ouvriers hautement spécialisés et d’artisans compétents.
Le risque d’une nouvelle dépendance à la Chine
Il reste toutefois peu probable que l’Union européenne s’aligne sur le niveau d’ambition de cette « Race to Replace ». Mais, dans un contexte où les lignes bougent, où l’acceptabilité de politiques énergétiques ambitieuses semble en hausse, et où l’Union européenne veut conserver son leaderships sur la transition énergétique, un renforcement des objectifs de décarbonation européen, en phase avec ce rapport, est réaliste.
Ce rapport présente une trajectoire alternative. Aux décideurs européens de s’en inspirer pour profiter d’un contexte enfin favorable à une vraie révolution énergétique sur le Vieux continent.