Ce 10 janvier 2022, en ouverture d’une semaine-clé de négociation avec la Russie sur l’OTAN et l’Ukraine, le président américain Joe Biden a soutenu ses alliés européens en commandant personnellement une livraison supplémentaire de GNL vers l’Europe, afin de relâcher la pression sur les prix du gaz naturel et réduire, temporairement, la dépendance européenne au gaz russe.
L’Europe dépend très fortement de la Russie dans son approvisionnement en gaz naturel. Dans un contexte de tensions diplomatiques avec Moscou, comme c’est le cas actuellement avec la crise en Ukraine, cette dépendance peut devenir une arme géopolitique sous-jacente.
L’Europe toujours aussi dépendante du gaz naturel russe
La part du gaz russe dans l’approvisionnement national atteint ainsi 49 % en Allemagne, 46 % en Italie, entre 65 % et 80 % en Autriche, Tchéquie, Slovaquie, Bulgarie, dépasse les 90 % en Lettonie ou en Finlande, et atteint 100 % en Bosnie, Macédoine du Nord et Moldavie. La France, avec 24 % seulement de gaz russe, l’Espagne et le Portugal, qui n’importent pas de gaz russe, font figure d’exception.
La hausse vertigineuse des prix du gaz naturel cet automne, dont les effets se font toujours sentir, ont d’ailleurs pu être imputé, au moins en partie, à une décision politique du Kremlin, limitant volontairement ses livraisons pour faire flamber les prix, et mettre la pression sur ses partenaires européens. De plus, le mécanisme du marché de l’électricité en Europe indexe les prix de gros de l’électricité sur ceux du gaz naturel, provoquant une hausse généralisée des prix de l’énergie.
Crise énergétique en Europe et crise diplomatique autour de l’Ukraine
Difficile de savoir si la Russie a volontairement coupé le robinet à gaz vers l’Europe, mais il est certain qu’elle a refusé de l’ouvrir plus largement pour donner une bouffée d’oxygène à ses partenaires européens. Cette manœuvre a pu être vue comme une volonté de forcer la main à l’Union Européenne et à l’Allemagne pour accélérer la validation administrative du gazoduc Nord Stream 2, désormais achevé.
Mais la crise en Ukraine a donné un autre relief à ces questions. La Russie a en effet massé plus de 100 000 hommes à proximité de sa frontière avec l’Ukraine, soutenus par des équipements lourds, près à envahir son voisin. L’Occident use d’ailleurs de la menace d’interdire l’ouverture de Nord Stream 2 en cas d’offensive russe pour faire pression sur Moscou. La Russie, de son coté, a réduit encore ses exportations de gaz naturel vers l’Europe, notamment en suspendant les livraisons du gazoduc Yamal-Europe.
Moscou veut « neutraliser » l’OTAN à l’Est
Le Kremlin a toutefois fini par dévoiler ses cartes, et Vladimir Poutine, le président russe, a clairement indiqué que cette menace d’invasion de l’Ukraine était une façon de négocier sur l’avenir de l’OTAN en position de force avec les Etats-Unis.
Moscou souhaite en effet la garantie d’un gel des adhésions à l’Alliance atlantique (en particulier concernant l’Ukraine et la Géorgie), et même une « neutralisation » des anciens membres du Pacte de Varsovie qui ont adhéré à l’OTAN depuis 1997 – à savoir un retrait de toute troupe américaine au sol et de tout arsenal nucléaire.
Joe Biden soutient l’Europe par une livraison supplémentaire de GNL
Cette semaine du 10 janvier 2022, les Etats-Unis et l’OTAN ont entamé des négociations avec la Russie pour tenter de trouver un compromis qui éviterait l’invasion de l’Ukraine (et les sanctions économico-diplomatiques majeures promises par l’Occident), sans forcer Washington à reculer – les Etats-Unis refusent ainsi catégoriquement de retirer leurs troupes installées en Pologne, Roumanie ou Bulgarie.
C’est dans ce contexte que Joe Biden, le président des Etats-Unis, a décidé de donner un petit coup de pouce énergétique à ses alliés européens. Il a personnellement demandé à des compagnies de GNL d’effectuer une livraison supplémentaire à destination de l’Europe. Les méthaniers sont arrivés sur les côtes européennes ce 10 janvier 2021, faisant remonter les importations américaines de gaz naturel en Europe à leur plus haut niveau depuis fin 2019, avant le début de la pandémie de Covid-19.
Renforcer ses exportations de gaz en Europe, une aubaine géopolitique et économique pour les Etats-Unis
Cet apport a permis de faire baisser le prix du gaz naturel en Europe à 88 euros le MWh – contre un pic à 182 euros mi-décembre 2021. Pour les Etats-Unis, ce nouveau débouché est une aubaine aussi bien géopolitique (il renforce les liens avec ses alliées de l’OTAN en Europe) qu’économique, puisque l’Oncle Sam devrait encore augmenter sa production de gaz naturel en 2022, la portant à 2,73 milliards de m³ par jour (contre 2,62 milliards en 2021).
En effet, les Etats-Unis devraient réduire dans les années à venir leur utilisation domestique du gaz naturel pour le chauffage et la cuisson (l’État de New-York vient notamment de l’interdire dans les bâtiments neufs), afin de réduire leurs émissions carbone : les producteurs de gaz américain ont donc besoin d’augmenter leurs exportations pour continuer d’écouler leur production.
Pour autant, ce soutien américain ponctuel ne réglera pas les problèmes européen à moyen terme (les stocks européens de gaz sont au plus bas), et l’évolution des négociations sur l’Ukraine et l’OTAN peuvent profondément changer la donne. Le gaz restera quoiqu’il en soit au coeur de cette crise diplomatique de grande ampleur avec la Russie.