Nord Stream 2 pourrait être un simple projet de gazoduc commercial entre la Russie et l’Allemagne, comme l’arguent ses défenseurs. Mais face aux enjeux géopolitiques, le dossier révèle de nombreuses fractures au sein de l’UE.
Le russe Gazprom a présenté le projet de gazoduc North Stream entre la côte baltique de la Russie et l’Allemagne comme « une partie de la solution à long terme pour la sécurité énergétique de l’Union européenne ». Les Russes ont surtout pour idée d’écarter totalement l’Ukraine du paysage.
Eviter l’Ukraine
Ce projet d’une capacité de 55 milliards de m3, l’Ukraine pourrait se retrouver à l’écart dans les futurs schémas d’approvisionnement de l’Union Européenne depuis la Russie. Le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk enrage et parle d’un « projet anti-européen, anti-ukrainien, anti-slovaque et anti-polonais. »
Il faut reconnaitre que les Russes auront moins de soucis à couper le gaz à l’Ukraine parce qu’ils n’exposeront plus l’Allemagne, d’après Sijbren De Jong, analyste du Centre d’études stratégiques de La Haye. Parallèlement, la Commission européenne comme le Conseil, par la voix de son président polonais Donald Tusk, a reconnu que le projet assècherait le transit par l’Ukraine, en concentrant 80% des importations de gaz russe sur un seul itinéraire. Gazprom se retrouverait en position archi-dominante sur le marché allemand, avec une part de marché bondissant de 40% à plus de 60%.
La réglementation européenne en question
Le commissaire européen chargé de l’Energie, Miguel Arias Canete, a promis qu’il fera « appliquer toute la réglementation que il (je) peu(t)x faire appliquer ». Qu’il s’agisse des règles de concurrence, de respect du marché intérieur, de l’environnement et des offres publiques, « notre proposition est totalement conforme à toutes les règles de l’Union » d’après le N°2 de Gazprom, Alexandre Medvedev.
Pourtant du point de vue stratégique, la question de l’énergie a été abordée lors d’un Conseil en février 2015 mettant en exergue des principes dans lesquels ce projet ne semble pourtant pas s’intégrer comme la diversité des itinéraires de transit et des fournisseurs ou la réduction de la dépendance aux importations. Sans compter les objectifs de développement des énergies renouvelables, fixés pour 2020 et 2030. Les relations entre l’UE et Gazprom, sous le coup d’une enquête pour abus de position dominante, restent délicates. Le groupe russe a d’ailleurs saisi l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de toute la législation énergétique européenne. Et ne manque pas de noter que ses exportations de gaz vers l’Europe ont augmenté de 8% en 2015.
« Il faut garder à l’esprit que la politique entre en compte, même quand on soulève des problèmes réglementaires », relève Annika Hedberg, analyste au l’European Policy Centre (EPC), rappelant que des objections similaires n’avaient pas empêché la construction du premier Nord Stream. Dix ans tard, la situation a pourtant bel et bien changé. puisque Moscou est encore sous le coup de sanctions depuis le conflit en Ukraine. Les pays baltes et l’Italie haussent d’ores et déjà le ton contre ce projet.
L’Allemagne pousse
De l’autre côté du gazoduc, l’Allemagne continue de défendre le projet Nord Stream 2, projet purement commercial selon la chancelière Angela Merkel. Récemment en visite en Pologne, le vice-chancelier Sigmar Gabriel a assuré que ce projet ne serait pas réalisé sans garantie sur la sécurité des livraisons via l’Ukraine après 2019.
Nord Stream 2 est porté par un consortium où se retrouvent les allemands E.ON et Wintershall (BASF), l’autrichien OMV, le néerlandais Shell et le français Engie, à hauteur de 10% chacun, et Gazprom (50%).
Dans un avenir proche, Gazprom va tout faire pour se reposer sur son coeur de marché : l’Europe. Il est un peu obligé de le faire, avance Sijbren De Jong. La croissance chinoise ralentit, les négociations traînent pour la construction de pipelines russes et le projet de gazoduc via la Turquie est tombé dans les limbes, énumère l’analyste. Les Etats-Unis aussi sont prêts à entrer dans la course au gaz naturel liquéfié (GNL) et se lancent dans une stratégie inédite d’exportation, forts de la manne de leur gaz de schiste. La première cargaison vers l’Europe partira de Louisiane ce mois-ci.