Les dirigeants européens ne veulent pas faire du projet Nord Stream II, gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne par la mer baltique, un problème politique. Plusieurs dirigeants, dont Matteo Renzi en Italie, se font de plus en plus critique et impose le sujet au Conseil européen.
La chancelière allemande, Angela Merkel, a tout récemment défendu le projet de gazoduc destiné à acheminer du gaz naturel russe vers le nord de l’Allemagne, via la mer Baltique, qui, selon l’Union européenne et des responsables américains, risquerait de saper la stabilité politique et économique de l’Ukraine. Or, par la voie du Président du Conseil, Donald Tusk, « l’Union Européenne veut avoir une position objective et neutre et appliquer de façon rigoureuse les règles européennes ». Ce qui ne serait pas le cas de ce projet de gazoduc.
Donald Tusk a rapporté que pour l’Italie, mais aussi la Bulgarie et la République tchèque, il était important de savoir « pour quelles raisons Nord Stream est possible et pas South Stream ». Ce dernier projet, reliant la Russie à l’Italie par le sud de l’Europe, a été abandonné il y a un an.
« Nous sommes tous tombés d’accord pour dire que toute nouvelle infrastructure devra respecter tous les objectifs de l’Union de l’Energie, comme la réduction de la dépendance énergétique et la diversification des sources et des routes. C’est particulièrement important au sujet de Nord Stream 2 », a déclaré Donald Tusk. « C’est une condition claire pour recevoir le soutien politique, légal, ou financier, d’institutions européennes ou d’Etats membres. » Si cette infrastructure voyait le jour, elle concentrerait 80% des importations de gaz russe sur une seule route et garantirait une position dominante au géant Gazprom sur le marché allemand, a assuré Donald Tusk. Il a donc invité à prendre en compte « le contexte géopolitique », et notamment l’assèchement potentiel du transit via l’Ukraine.
Un projet commercial avec des investisseurs privés
Selon la Chancelière allemande, les gouvernants n’ont pas à intervenir dans ce projet. « J’ai été très claire, avec d’autres, sur le fait qu’il s’agit d’un projet commercial : il y a des investisseurs privés », a déclaré Angela Merkel à l’issue de discussions sur le projet Nord Stream 2 avec les 27 autres chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne. Le russe Gazprom détient 50% du consortium Nord Stream 2. Les 50% restants sont détenus à parts égales par le britannique Royal Dutch Shell, les allemands E.ON et BASF, l’autrichien OMV et le français Engie.
Angela Merkel a déclaré qu’il fallait, certes, trouver pour Nord Stream une solution qui préserve le statut de l’Ukraine comme pays de transit. Mais certains dirigeants à Bruxelles et Washington ainsi que le gouvernement ukrainien redoutent que l’ajout d’une capacité supplémentaire de 55 milliards de mètres cubes au gazoduc existant Nord Stream permette à Moscou et Gazprom de contourner l’Ukraine.
Mais la fronde s’organise. C’est l’Italien Matteo Renzi qui s’est montré le plus combatif, d’après plusieurs participants. Il est vrai que Rome garde une rancoeur tenace après que la Commission européenne ait retoqué, fin 2013, le projet de gazoduc South Stream. Quittant Bruxelles, le premier ministre s’est vanté d’avoir réussi « à stopper net la tentative de faire passer en douce » le projet de la Baltique. Désormais Angela Merkel fait face à un adversaire aussi gênant que Silvio Berlusconi, note un responsable en privé.
Dépendance énergétique de la Russie
Les frondeurs estiment que l’Allemagne fait passer ses propres intérêts énergétiques devant ceux de l’Europe. Leur principal argument est que ce projet accroît la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie et surtout qu’il entre en contradiction flagrante avec la politique actuelle des sanctions européennes contre Moscou depuis son invasion de la Crimée. « Dans le contexte actuel, souligne Jacek Saryusz- Wolski, eurodéputé polonais et porte-étendard des anti-Nord Stream II, renforcer le poids de Gazprom, le bras de la politique du Kremlin en Europe , change la donne géopolitique ». Le Président du Conseil reconnait ouvertement qu’à ses yeux le gazoduc Nord Stream ne contribue pas à la diversification ni à la réduction de la dépendance énergétique.
Malgré cela, les Européens vont bel et bien maintenir leurs sanctions contre la Russie. Mais le président du Conseil européen n’a pas cherché à donner trop de publicité à cette décision. Celle-ci sera prise en toute discrétion après le sommet, par les ambassadeurs des Etats membres et pas par le Conseil européen. Pas question d’humilier trop ouvertement la Russie alors qu’elle constitue l’une des clés d’une solution politique en Syrie.