Après avoir progressivement réduit les volumes de gaz livré par Nord Stream 1 au cours du mois de juin, Gazprom a interrompu le fonctionnement du gazoduc, ce 11 juillet 2022, pour de supposés travaux de maintenance (non sans une passe d’arme diplomatique entre la Russie, le Canada, l’Ukraine et l’Allemagne sur la réparation de turbines Siemens). Depuis cette date, l’Union européenne ne reçoit plus de gaz par ce biais, et se prépare « au pire » – une rupture d’approvisionnement pur et simple de Moscou.
Alors que les prix du gaz naturel en Europe ont été multipliés par 2,5 depuis le début de l’année 2022, la Russie renforce la pression sur l’Union européenne sur le front du gaz, en réponse aux sanctions économiques de l’UE – qui elles-mêmes veulent pousser le Kremlin à cesser les hostilités en Ukraine.
La Russie réduit graduellement ses livraisons de gaz vers l’Union européenne
En 2021, la Russie a livré 155 milliards de m3 de gaz naturel à l’UE, soit 40 % de sa consommation totale de gaz. Depuis le début de l’année 2022, les volumes baissent régulièrement.
D’une part parce que les Etats européens ont décidé de diversifier leurs approvisionnement, se tournant notamment vers le GNL américain, d’autre part parce que Gazprom a cessé de fournir les Etats et sociétés refusant de payer en roubles (Pologne, Bulgarie, Finlande, Pays-Bas, Danemark…).
Puis, mi-juin 2022, Gazprom a annoncé des soucis techniques sur le gazoduc Nord Stream 1, qui relie directement la Russie à l’Allemagne, faisant graduellement baisser les volumes livrés de 167 à 67 millions de mètres cubes par jour.
L’affaire des turbines Siemens de Nord Stream 1
Le groupe gazier russe explique que cette baisse est due au manque de turbines Siemens dans la station de compression de Portovaïa. Ces turbines étaient en maintenance sur un site canadien du groupe allemand Siemens, et bloquées sur place en raison des sanctions européennes frappant la Russie (qui interdissent notamment de fournir à Moscou tout équipement industriel énergétique).
L’Italie dénonce alors un prétexte du Kremlin pour mettre la pression sur l’Union européenne. L’Allemagne, tout en affirmant publiquement douter de la version de Gazprom, négocie pour obtenir du Canada qu’il envoie à Gazprom les turbines en question – même s’il s’agit d’une entorse aux sanctions économiques.
Le Canada accepte de livrer les turbines, provoquant la colère de l’Ukraine
L’Allemagne veut ainsi contraindre le Kremlin à tomber le masque, et admettre que son choix de couper le robinet de gaz vers l’Europe est politique, et pas technique. Le Canada se rend aux raisons de Berlin, et accepte publiquement de livrer les turbines durant le week-end du 9-10 juillet.
Cette décision provoque l’indignation de l’Ukraine, par la voix de son président Volodymyr Zelensky, qui dénonce « une exception absolument inacceptable au régime de sanctions contre la Russie », qui « sera perçue à Moscou uniquement comme un signe de faiblesse ».
« Il ne fait aucun doute que la Russie tentera non seulement de limiter autant que possible, mais aussi d’arrêter complètement l’approvisionnement en gaz de l’Europe au moment le plus aigu », a-t-il ajouté.
Nord Stream fermé pour une maintenance de 10 jours… voire plus ?
Le 11 juillet 2022, Gazprom démarre une maintenance de 10 jours de Nord Stream 1, interrompant de fait toute livraison de gaz vers l’Union européenne. Le 13 juillet, le groupe gazier indique n’avoir « en sa possession aucun document permettant à Siemens de faire sortir du Canada le moteur de turbine à gaz pour la station de compression Portovaïa » – malgré les déclarations contraires du week-end précédent.
Gazprom indique que l’absence de cette turbine l’empêche de garantir le bon fonctionnement de Nord Stream 1. Le géant gazier va-t-il bien rouvrir les flux de gaz au 21 juillet, comme annoncé initialement ? La plupart des Etats de l’Union européenne semblent en douter.
Se préparer « au pire »
Reprenant les mêmes éléments de langage, les ministres de l’économie allemand, Robert Habeck, et français, Bruno Le Maire, ont déclaré qu’il fallait « se préparer au pire ». La France ne reçoit de toute façon plus de gaz naturel de Russie depuis mi-juin 2022, ayant finalement refusé de payer en roubles. Mais Nord Stream 1 fournissait encore 20 % du gaz consommé en Europe début juin 2022.
En réaction, les gouvernements de l’Union européenne se lancent dans des plans de sobriété énergétique, afin d’économiser le gaz en vue d’un hiver 2022-2023 qui s’annonce compliqué en terme d’approvisionnement et de coût de l’énergie.
Sobriété et inversion des gazoducs France-Allemagne
L’Allemagne a ainsi déjà annoncé qu’elle limiterait le chauffage à 20°C durant cet hiver. « Nous allons rentrer dans une gestion de la rareté, en essayant, dans la mesure du possible, de choisir nos restrictions afin de privilégier les moins contraignantes possibles, qui ne mettent en péril ni l’économie ni la population », annonce Carole Mathieu, responsable des politiques européennes au Centre Énergie & Climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Cette situation inédite pourrait générer une première : la France s’apprêterait à livrer du gaz à l’Allemagne, inversant pour la première fois le flux de gazoducs fonctionnant depuis leur mise en service uniquement dans le sens Est-Ouest.
« On sent que l’Allemagne va demander de changer le sens du flux des livraisons de gaz. Il y a une question de solidarité. Si nous sommes dans une bonne situation, on peut se permettre d’envoyer du gaz pour soutenir nos voisins allemands. La question c’est quand et dans quelles quantités », pointe ainsi le ministère de la Transition énergétique.
La Russie se tourne vers l’Est
De son coté, la Russie semble prête à renoncer à la manne de ses exportations de gaz naturel vers l’Europe (environ 20 milliards d’euros en 2022). Le pays peut s’appuyer sur une explosion des cours du pétrole et du gaz, qui ont soutenu ses revenus durant le premier semestre 2022 (malgré une baisse des volumes d’exportation), et sur de nouveaux marchés, notamment vers l’Est.
En juin 2022, en glissement annuel, les importations russes vers la Chine ont ainsi augmenté de 56,3 %, une hausse essentiellement portée par le secteur de l’énergie (gaz et pétrole).