L’Espagne a commencé à transférer du gaz naturel au Maroc via le Gazoduc Maghreb Europe (GME), ce qui a permis au Royaume de remettre en marche deux de ses centrales au gaz, ce 5 juillet 2022. Ce gaz a été acheté par le Maroc sur les marchés internationaux sous forme de GNL, et regazéifié dans un terminal espagnol. L’Algérie a confirmé qu’il ne s’agissait pas de gaz algérien.
En octobre 2021, l’Algérie suspend le contrat de fourniture de gaz naturel à l’Espagne via le Gazoduc Maghreb Europe (GME) : ce contrat prévoyait en effet la livraison de gaz au Maroc en échange de la traversée de son territoire.
Les importations de gaz algérien par l’Espagne en forte baisse après la fermeture du GME
Or, ayant rompu ses relations diplomatiques avec son voisin marocain, sur fond de désaccord sur le statut du Sahara Occidental, l’Algérie ne voulait plus fournir de gaz au Maroc. Depuis, Alger continue de livrer du gaz à l’Espagne, mais uniquement via le gazoduc partiellement offshore Medgaz, qui relie directement les deux pays.
Reste que, les capacités de Medgaz étant largement inférieures à celles du GME, les exportations algériennes vers l’Espagne ont fortement baissé. Ainsi, l’Algérie n’a couvert qu’un quart des importations espagnoles de gaz au premier trimestre 2022, contre 40 % sur l’année 2021.
Dans le même temps, au terme d’un long feuilleton diplomatique, l’Espagne a fait volte-face sur la question du Sahara Occidental, et a appuyé la position marocaine d’une autonomie au sein du Royaume marocain, signant un échec cinglant pour la diplomatie algérienne.
L’Espagne soutient diplomatiquement le Maroc et lui tend la main pour son approvisionnement en gaz
Le rapprochement diplomatique entre Rabat et Madrid se concrétise notamment sur la question du gaz naturel : en effet, privé de toute infrastructure de regazéification, le Maroc ne peut se fournir seul en GNL sur les marchés mondiaux, et ne dispose pour l’heure d’aucun gazoduc terrestre le reliant à ses voisins, à l’exception du GME.
Dès lors, l’Espagne propose au Maroc d’acheter du GNL sur les marchés mondiaux, d’utiliser les infrastructures méthanières espagnoles pour le regazérifier, puis d’inverser le flux du GME pour acheminer le gaz jusqu’au Maroc.
Apprenant ce projet, l’Algérie indique immédiatement que si l’Espagne revend à un pays étranger ne serait-ce qu’une molécule de gaz naturel algérien, elle dénoncera le contrat la liant à Madrid pour y mettre un terme.
Le 28 juin 2022, le flux du GME est inversé pour permettre au Maroc du recevoir du gaz acheté sur les marchés internationaux
Pour autant, malgré cette pression diplomatique algérienne, les tractations commerciales se poursuivent entre Espagne et Maroc. Et, ce 29 juin 2022, le ministère espagnol de la Transition écologique annonce : « Sur la base des relations commerciales et du bon voisinage, hier (mardi 28 juin) a eu lieu le premier envoi par le gazoduc du Maghreb de GNL (gaz naturel liquéfié) préalablement acquis par le Maroc sur les marchés internationaux et débarqué dans une usine de regazéification espagnole ».
Le même source indique qu’un « procédé de certification garantit que ce gaz (acheminé d’Espagne vers le Maroc) n’est pas d’origine algérienne ». Dans un premier temps, les autorités espagnoles confirment qu’un méthanier est arrivé à Bilbao pour décharger du GNL acheté par le Maroc, mais refusent d’indiquer son origine.
Du gaz américain pour le Maroc
Le 3 juillet 2022, le quotidien espagnol La Vanguardia révèle que ce gaz provenait des Etats-Unis. Le même jour, Toufik Hakkar, PRDG de la société énergétique algérienne Sonatrach, déclare que « jusqu’à aujourd’hui, le gaz algérien exporté n’a pas été transférée vers un autre pays », confirmant l’origine étrangère du gaz arrivé au Maroc.
Ce même 3 juillet 2022, selon l’énergéticien espagnol Enagas, deux nouveaux petits méthaniers ont débarqué en Espagne du GNL acheté par le Maroc sur les marchés internationaux, à destination des usines de regazéification de Huelva (28 000 m3) et de Carthagène (34 000 m³) – de quoi produire 55 MWh d’électricité. Une information confirmée par des sources gouvernementales espagnoles.
Rabat remet en service deux centrales au gaz
Ce 5 juillet 2022, le Maroc a donc pu annoncer la remise en service de deux de ses centrales électriques au gaz, Tahaddart et Aîn Béni Mathar, dans le nord du Maroc. Ces deux centrales fournissent selon les médias locaux entre 10 et 17 % de la production nationale d’électricité.
Un communiqué de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et de l’Office national des hydrocarbures et des Mines (ONHYM) précise, s’il en était besoin, l’origine du gaz utilisé : « Le royaume du Maroc assure son approvisionnement en gaz naturel en concluant des contrats d’achat de GNL (gaz naturel liquéfié) sur le marché international et en utilisant les infrastructures gazières des opérateurs espagnols et le Gazoduc Maghreb-Europe ».
Espagne / Algérie, un numéro d’équilibrisme diplomatique
Tout est donc fait pour ne pas trop froisser Alger, notamment du coté espagnol, qui tient à conserver des relations cordiales avec son fournisseurs de gaz, malgré le camouflet diplomatique sur le Sahara Occidental.
L’Algérie, de son coté, profite à plein de la crise sur les marchés mondiaux de l’énergie. Selon Toufik Hakkar, les exportations algériennes d’hydrocarbures ont ainsi augmenté de 70 % au cours des 5 premiers mois de 2022. De quoi pouvoir se permettre de rompre avec l’Espagne en cas d’escalade.
Mais en conservant, pour l’heure, des relations aussi amicales que possible avec Madrid, tant pour des raisons économiques (l’Espagne reste un partenaire de premier plan pour l’Algérie) que diplomatiques (pour asseoir l’influence algérienne en Europe).