Deuxième plus gros consommateur de gaz naturel d’Union Européenne, l’Italie dépend à 40 % des importations de gaz russe. Pour se défaire de cette dépendance, l’Italie se tourne vers l’Afrique, et notamment l’Algérie, l’Egypte, la République Démocratique du Congo, l’Angola, bientôt le Mozambique, voire la Libye. Au risque de froisser certains partenaires européens, comme l’Espagne.
L’Italie est aujourd’hui le deuxième plus gros consommateur de gaz naturel de l’Union Européenne, avec 58,7 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) en 2020, derrière l’Allemagne (74,6 Mtep). Mais là où le gaz ne représente que 26 % du mix énergétique de l’Allemagne, cette part atteint 40 % en Italie. Soit un record européen : dans l’UE, seuls les Pays-Bas (37%) dépassent également les 30 %.
L’Italie ne veut plus dépendre du gaz russe
Or, la Russie fournit actuellement 40% de son gaz à l’Italie, pour des volumes considérables (environ 28,5 milliards de m3 par an), ce qui en fait, avec l’Allemagne, le pays le plus dépendant de Moscou dans son approvisionnement énergétique. D’où la volonté du premier ministre italien, Mario Draghi, de diversifier au maximum ses approvisionnements.
« Nous ne voulons plus dépendre du gaz russe, parce que la dépendance économique ne doit pas devenir une sujétion politique. La diversification est possible et peut être mise en œuvre relativement rapidement, plus vite que nous le pensions il y a seulement un mois », a ainsi affirmé le chef du gouvernement italien.
Premier accord avec l’Algérie, pour augmenter les livraisons d’ici 2023-2024
Si l’Italie devrait, comme tous les pays de l’UE, se fournir davantage en GNL états-unien, le pays a aussi décidé de se tourner résolument vers l’Afrique, fort de bonnes relations bi-latérales avec les pays du Maghreb, et la forte présence dans le reste de l’Afrique du pétrolier italien Eni, premier exploitant d’hydrocarbures dans le continent.
L’Italie a commencé par se tourner vers son second fournisseur de gaz fossile, l’Algérie (30 % environ des importations italiennes). Mario Draghi s’est rendu en personne à Alger et, le 11 avril 2022, la compagnie nationale algérienne, Sonatrach, a signé un contrat avec Eni portant sur une augmentation des livraisons de gaz à travers le gazoduc sous-marin Transmed « jusqu’à 9 milliards de m3 par an » d’ici 2023-2024 (correspondant à environ 30 % des importations russes actuelles).
Selon Eni, cette augmentation sera «le résultat de l’étroite collaboration dans le développement de projets gaziers en amont». Mais cet accord a provoqué l’inquiétude d’un partenaire européen de l’Italie : l’Espagne. Selon une source proche du dossier, «des diplomates italiens et espagnols sont en pourparlers après que la décision de Rome de sécuriser de gros volumes de gaz algérien a alimenté les inquiétudes de Madrid».
Inquiétudes espagnoles sur le prix du gaz algérien
En effet, la rupture des relations entre Algérie et Maroc, à l’été 2021, a provoqué le non-renouvellement du contrat de livraison de gaz à l’Espagne via le Gazoduc Maghreb Europe (GME) par Alger, pour cesser de verser une rente gazière au Maroc en échange de la traversée de son territoire par le GME. L’Algérie continue de livrer du gaz à l’Espagne, mais via un second gazoduc essentiellement offshore.
Cette décision a amorcé un vaste jeu diplomatique dans la région, puisqu’elle a participé à rapprocher le Maroc et l’Espagne : Madrid a même spectaculairement changé de doctrine sur le Sahara Occidental, s’alignant sur la position marocaine. L’Algérie envisage depuis des représailles contre l’Espagne.
Si Alger ne peut pas dénoncer ses contrats de fourniture de gaz en cours avec l’Espagne, Sonatrach envisage d’augmenter très fortement ses tarifs au prochain renouvellement. De ce point de vue, la hausse des livraisons gazières à l’Italie a de quoi inquiéter Madrid, même si un responsable italien a garanti que le partenariat avec l’Algérie «n’affecterait pas les approvisionnements espagnols».
Nouveaux accords de fourniture de GNL avec l’Egypte, la République Démocratique du Congo, l’Angola
Dans la foulée de cette visite à Alger, Mario Draghi s’est rendu en Egypte, le 13 avril 2022. Il y a conclu un accord pour augmenter les flux de GNL vers l’Italie jusqu’à 3 milliards de m3, dès cette année. Le gouvernement italien s’est également dit prêt à investir massivement en Libye, où l’Italie est présente depuis des années, et où Eni travaillait déjà sur la possible exploitation de nouveaux gisements de gaz offshore.
La tournée africaine du gouvernement italien s’est poursuivi, ces 20 et 21 avril 2022 en République du Congo et en Angola. Positif au Covid-19, Mario Draghi y a été remplacé par son ministre des Affaires étrangères Luigi Di Maio, accompagné de son collègue de la Transition écologique Roberto Cingolani. Le patron d’Eni, Claudio Descalzi, était également présent, comme en Algérie et en Egypte.
La problématique du Mozambique
Aucun accord n’a encore été révélé, mais les discussions porteraient sur une augmentation des livraisons de GNL de 5 milliards de m3 supplémentaires par an pour la République Démocratique du Congo, et de 1,5 milliards de m3 supplémentaire par an pour l’Angola.
Un nouveau voyage pourrait avoir lieu en mai au Mozambique. Le pays dispose en effet de très importantes réserves de gaz naturel, mais peine à les exploiter, notamment à cause des attaques de groupes terroristes. Pour autant, la mise en service de l’usine de GNL offshore Coral Sud, opérée par Eni, est toujours prévue pour le second semestre 2022.
L’Italie veut aussi augmenter sa production nationale de gaz et ses capacités renouvelables
Parallèlement à ces négociations, l’Italie veut également augmenter sa production nationale de gaz naturel, pour la porter dès cette année de 3,34 milliards à 5 milliards de m3. Le gouvernement veut également réduire la dépendance à la Russie en limitant sa consommation de gaz fossile.
Pour ce faire, le pays entend accélérer sa transition énergétique, notamment en développant plus vite que prévu sa capacité renouvelable. Le gouvernement veut notamment simplifier les démarches administratives nécessaires à l’installation de centrales éoliennes et photovoltaïques.
Plant thermostat
Le dernier levier est celui de la sobriété énergétique. Mario Draghi a ainsi demandé à tout le pays d’adopter le « plan thermostat ». L’objectif est de faire baisser le chauffage d’un degré dans les écoles et les administrations, et d’adopter une mesure équivalente pour cet été avec la climatisation. « Voulons-nous la paix ou voulons-nous allumer la climatisation cet été ? », a imagé le chef du gouvernement.
En étendant cette règle aux entreprises et aux particuliers, l’Italie pourrait économiser jusqu’à 4 milliards de m3 de gaz par an. Soit 14 % du gaz importé de Russie. Pour autant, le pays ne semble pas pouvoir se passer de gaz russe à très court terme, il faudra entre 2 et 3 ans pour que l’ensemble de ces plans atteignent leur plein effet. Ce qui laisse le pays très vulnérable à une éventuelle fermeture du robinet à gaz venu de Russie.