Ce 20 octobre 2022, la France, l’Espagne et le Portugal ont annoncé, en ouverture du sommet énergétique européen, un accord pour construire un pipeline offshore reliant Barcelone à Madrid, et créer ainsi une interconnexion énergétique entre la France et l’Espagne : programmé pour 2030, il sera essentiellement destiné à acheminer de l’jhydrogène et autres gaz renouvelables, et, à titre de transition, un maximum de 15 % de gaz fossile. Ce pipeline BarMar enterre définitivement MidCat, le projet de gazoduc onshore traversant les Pyrénées, mis de coté par Paris en 2019. Pour l’heure, l’Allemagne ne s’est pas associé à ce projet : c’est pourtant Olaf Scholz lui-même qui avait relancé MidCat, voici quelques semaines, sur fond de crise énergétique européenne.
Sur l’explosive question de la liaison énergétique entre la péninsule ibérique et le reste de l’Europe, Paris est parvenu à négocier avec l’Espagne et le Portugal une solution axée sur les renouvelables, limitant drastiquement les volumes de gaz fossile, assez loin de la position défendue à la fin de l’été par l’Allemagne de relancer le gazoduc MidCat, soutenue à l’époque par Madrid et Lisbonne.
Olaf Scholz a voulu relancer le projet de gazoduc MidCat entre la France et l’Espagne
Olaf Scholz avait déclaré à l’époque qu’un gazoduc reliant la péninsule ibérique à l’Europe centrale manquait « dramatiquement », car il « contribuerait aujourd’hui massivement à soulager et détendre la situation de l’approvisionnement ».
Une telle infrastructure permettrait en effet de relier les terminaux de méthanisation que possède l’Espagne au reste de l’Europe. « J’ai proposé qu’on s’attaque à un tel projet auprès de mes homologues espagnol et portugais, mais aussi lors de conversations avec le président français et la présidente de la Commission européenne », avait indiqué le chancelier allemand.
Soutien de l’Espagne et du Portugal, tiédeur de la France
Par la suite, l’Espagne et le Portugal sont venus au soutien. Le Premier ministre portugais Antonio Costa a ainsi affirmé, le 14 août 2022, que ce gazoduc était « une priorité » pour le Portugal. Son homologue espagnol Pedro Sánchez a déclaré que « l’Espagne a beaucoup à apporter à l’Europe pour réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie grâce à notre immense capacité de regazéification ».
Ces déclarations ravivent le projet de gazoduc MidCat, qui devait relier l’Espagne à la France via les Pyrénées, né en 2013 et mis en sommeil en 2019 sur initiative française, le jugeant inapproprié dans un contexte de transition énergétique et de forte contestation des associations environnementales.
Le gouvernement français se montre d’ailleurs à nouveau particulièrement tiède sur ce sujet, affirmant notamment qu’un « tel projet mettrait dans tous les cas de nombreuses années à être opérationnel » et « ne répondrait donc pas à la crise actuelle ».
France, Espagne et Portugal dégainent un nouveau projet de « Corridor des énergies vertes » entre Barcelone et Marseille
Pour autant, Paris ne se disait pas fermé à des discussions avec Madrid et Lisbonne sur le sujet. Et, au terme de longues tractations, les chefs des gouvernements français, espagnols et portugais ont présenté, ce 20 octobre 2022, au matin du sommet européen sur l’énergie à Bruxelles, un nouveau projet de pipeline France-Espagne, baptisé BarMar, qui reliera Barcelon à Marseille.
Exit le onshore, au coût environnemental local rédhibitoire pour Paris, exit (en grande partie) le gaz fossile : « nous nous sommes entendus pour remplacer le projet MidCat par un nouveau projet, qui s’appellera le Corridor d’énergie verte, pour relier la péninsule ibérique à la France et donc au marché européen de l’énergie entre Barcelone et Marseille », a défendu Pedro Sánchez.
Une liaison sous-marine « le plus directe et la plus efficace »
Il s’agira d’un pipeline 100 % offshore, car, selon l’Elysée, la liaison sous-marine est « l’option la plus directe et la plus efficace pour relier la péninsule ibérique à l’Europe centrale ».
Le futur pipeline sera conçu et pensé pour transporter de l’hydrogène vert et d’autres gaz renouvelables, compatibles avec la transition énergétique. Le gaz naturel fossile pourra y circuler « comme source d’énergie temporaire et transitoire », dans « une proportion limitée »,toujours selon l’Elysée. Une limite de 15 % de gaz fossile est évoqué.
Emmanuel Macron acte « l’abandon du projet historique MidCat »
Le président de la République française, Emmanuel Macron, a ainsi acté « l’abandon du projet historique MidCat (…) pour favoriser un projet que nous allons travailler dans les prochaines semaines de manière très intense à trois ».
Antonio Costa, Pedro Sánchez et Emmanuel Macron doivent en effet se retrouver les 8 et 9 décembre à Alicante en Espagne pour finaliser l’accord, qui doit permettre « de travailler à l’intensification de nos interconnexions électriques et la densification de ces dernières, et de travailler à une interconnexion hydrogène et énergies renouvelables entre Barcelone et Marseille », synthétise le président français.
Horizon 2030 pour la mise en service
Le 23 octobre 2022, la ministre de la Transition énergétique espagnole, Teresa Ribera, est revenu sur le sujet, en admettant que ce BarMar prendrait « logiquement plus de temps » à construire que MidCat, et qu’il reste à analyser « s’il faudra 5, 6 ou 7 ans » de travaux avant sa mise en service. Un horizon 2030 est ainsi évoqué.
« Il reste désormais le plus compliqué, c’est à dire travailler avec les équipes techniques des différents pays et des entreprises capables de concevoir un projet ayant ces caractéristiques », mais c’est « un investissement dont notre pays aurait eu besoin et qui nous connecte à toute l’infrastructure européenne » énergétique, insiste Teresa Ribera.
Autre avantage de ce projet : étant dédié aux renouvelables et étant un projet européen d’intérêt commun, les trois pays espèrent disposer de fonds européens pour le construire.
BarMar enterre définitivement MidCat
Plus globalement, ce BarMar enterre définitivement MidCat, qui nourrissait des tensions entre Paris et Madrid depuis plusieurs semaines, et va renforcer la position de hub énergétique de Marseille. Diplomatiquement, il met clairement l’Allemagne de coté.
Le chancelier Olaf Scholz n’a pas été invité pour négocier cet accord, même si, selon une source européenne, l’Allemagne pourra s’y « associer » si elle le souhaite car « elle y a un intérêt ».
Belle victoire de la diplomatie énergétique française
Pour l’heure, la France a obtenu de renoncer à l’idée de construire le plus vite possible une infrastructure dédiée au gaz fossile, que réclamait Berlin, au profit d’une infrastructure dédiée à l’hydrogène et aux gaz renouvelables, pensée sur un temps plus long, et qui répondra davantage à l’urgence climatique.
Difficile de ne pas y voir une belle victoire de la diplomatie énergétique française, dans un contexte de tension entre Paris et Berlin, et d’isolation grandissante de l’Allemagne au sein de l’Union européenne sur la question énergétique.