Ce 22 août 2022, le gouvernement de transition au pouvoir en Bulgarie (avant les élections d’octobre 2022) a indiqué qu’il allait démarrer des négociations avec Gazprom pour reprendre les livraisons de gaz russe. En avril 2022, la Bulgarie avait pourtant été le premier pays européen à refuser de payer son gaz en roubles, provoquant une rupture d’approvisionnement de Gazprom. Mais depuis, le gouvernement pro-européen de Kiril Petkov est tombé, et les livraisons russes vers l’Europe ont fondu comme neige au soleil, limitant les possibilités de soutien inter-Etats. La probable percée des nationalistes et des pro-russes aux prochaines élections est parfaitement réaliste. Depuis le Kremlin, Vladimir Poutine doit se frotter les mains…
Le 27 avril 2022, Gazprom, l’opérateur gazier d’État en Russie, cesse de livrer la Pologne et la Bulgarie. Les deux pays ont en effet refusé d’accepter les règles imposées par le Kremlin suite aux sanctions européennes contre la Russie en réaction à l’invasion de l’Ukraine – à savoir régler le gaz naturel en roubles.
Rompre avec Gazprom, un choix politique pour la Bulgarie du pro-européen Kiril Petkov
Si, pour la Pologne, ce choix découle d’une longue préparation, le pays ayant mis en place de nombreuses mesures pour pouvoir se désengager rapidement de Gazprom, en cas de besoin, pour la Bulgarie, le choix était symbolique, politique, et n’était tenable qu’avec un fort soutien de ses voisins.
En effet, la Bulgarie a importé, en 2021, 85 % de son gaz naturel de Russie, un chiffre qui était encore de 70 % en mars 2022. De plus, le pays ne dispose d’aucun terminal de GNL, et n’avait, fin avril 2022, rempli ses réserves de gaz qu’à seulement 17 %.
Le pays était dirigé à l’époque par Kiril Petkov, nommé premier ministre en décembre 2021. Leader du parti anticorruption et proeuropéen Nous continuons le changement (PP), il avait pris la tête d’une coalition regroupant le Parti socialiste bulgare, le parti populiste et « antisystème » Il y a un tel peuple (ITN), et le mouvement de centre-droit Bulgarie démocratique.
Une Bulgarie résolument opposée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie
Kiril Petkov décidé de mener une politique résolument pro-européenne, en nette rupture avec les dix ans de mandat de Boïko Borissov (entrecoupé de courtes périodes de transition), dont le parti de centre droit GERB ne cachait pas sa bienveillance avec la Russie de Vladimir Poutine, et était accusé de favoriser la corruption.
Le nouveau gouvernement bulgare se montre ainsi particulièrement ferme dans sa dénonciation de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le 28 février 2022, Kiril Petkov pousse à la démission son ministre de la Défense Stefan Yanev (et prédécesseur au poste de premier ministre, dans un gouvernement de transition pendant 6 mois en 2021), qui minimise l’invasion de l’Ukraine, qu’il qualifie d’« opération militaire » plutôt que de « guerre » – reprenant ainsi les éléments de langage du Kremlin.
C’est dans ce contexte de franche opposition à Moscou que se comprend le choix de rompre avec Gazprom. La stratégie de Kiril Petkov est de s’appuyer sur une diversification de l’approvisionnement en gaz, via trois levier essentiel.
Une interconnexion gazière avec la Grèce pour accéder au gaz d’Azerbaïdjan et au GNL
Le premier est l’ouverture d’une interconnexion gazière avec la Grèce, prévue de longue date mais effective le 8 juillet 2022, qui permet à la Bulgarie de se raccorder au gazoduc Tanap/Tap, qui achemine vers l’ouest de l’Europe le gaz de la mer Caspienne, en provenance d’Azerbaïdjan.
Lors de l’inauguration, Kiril Petkov affirme que ce gazoduc “marque les efforts pour l’indépendance énergétique” des pays de la région, en ajoutant que “dans les semaines prochaines, ce gazoduc sera rempli de gaz azéri et répondra à l’arrêt du gaz russe” en Bulgarie.
Le second levier est directement lié au premier, puisqu’il consiste à acheter du GNL sur les marchés internationaux, une opération facilitée par cette interconnexion gazière, qui ouvre à la Bulgarie la voie vers les ports grecs et leurs terminaux de GNL.
Une solidarité européenne en berne face à la baisse des livraisons de gaz russe
Le troisième levier est de compter sur la solidarité européenne, la Bulgarie étant un tout petit marché, Kiril Petkov veut s’appuyer sur ses voisins européens pour complèter les possibles manques de gaz.
Mais cette stratégie montre rapidement ses limites. Le gaz azéri ne doit arriver que cet automne, les prix sur le marché du GNL ont explosé, tous les pays européens surenchérissant pour remplir leurs réserves avant l’hiver. Dans l’intervalle, la Russie a aussi fortement réduit ses livraisons de gaz aux pays européens, y compris ceux payant en roubles – limitant la possibilité de soutien européen à la Bulgarie.
Kiril Petkov éjecté du pouvoir
Pour ne rien arranger, le 8 juin 2022, ITN se retire de la coalition gouvernementale, pour s’opposer au budget présenté par le gouvernement Petkov et à sa volonté de lever le veto bulgare sur l’entrée de la Macédoine du Nord dans l’Union européenne.
Si, pendant un court temps, Kiril Petkov espère pouvoir se maintenir au pouvoir, il présente sa démission fin juin 2022. Aucun des deux autres potentiels premiers ministres n’ayant pu former de gouvernement, le président Roumen Radev dissout l’Assemblée nationale, convoque des élections législatives pour le mois d’octobre 2022, et nomme un gouvernement de transition, mené par l’ancien ministre du Travail, Galab Donev.
Le gouvernement de transition veut négocier avec Gazprom pour reprendre les livraisons de gaz
Mais, si ce dernier est censé être apolitique et se borner à un rôle administratif, il se rapproche considérablement de la Russie. Pour faire face à la crise énergétique en Bulgarie, son ministre de l’Energie Rossen Hristov annonce, ce 22 août 2022, lors d’une conférence de presse, que “des négociations avec Gazprom Export pour reprendre les livraisons du contrat actuel”, qui se termine fin décembre, “sont désormais inévitables”.
S’il reconnaît que c’est le nouveau gouvernement qui devra prendre le relai, il semble détermié à rétablir les relations avec Moscou, et tenter d’obtenir de Gazprom une reprise des livraisons de gaz naturel.
Vladimir Poutine jubile
Dans le même temps, les sondages sur les prochaines législatives annoncent une montée en puissance des partis pro-russes, GERB en tête (qui pourrait reprendre le pouvoir), et des partis nationalistes.
Cette bascule fait évidemment les affaires de Vladimir Poutine, qui pourrait compter sur un allié de plus au sein de l’Union européenne, en plus de Victor Orbàn en Hongrie – et la diplomatie du gaz menée par le Kremlin est incontestablement une des causes de cette victoire géopolitique.