La révélation des crimes de guerre, commis par l’armée russe contre des civils en Ukraine, a poussé les trois États baltes à suspendre, à effet immédiat, leurs importations de gaz russe. La ministre allemande de la Défense demande d’envisager que l’ensemble de l’Union Européenne en fasse de même. Le 25 mars 2022, l’Union Européenne a en effet reçu du président américain Joe Biden des garanties de livraisons de GNL fortement augmentées. L’Union s’est également entendue pour mutualiser ses achats de gaz naturel. Pour autant, il semble difficile pour les plus gros importateurs de gaz russe de l’Union, Allemagne en tête, de s’en passer à court terme.
Entre fin mars et début avril 2022, l’armée russe a entamé une retraite du Centre-Nord du pays vers l’Est et le Sud, pour sécuriser son occupation du Donbass. Les troupes ont notamment quitté l’oblast de Kiev, laissant l’armée ukrainienne en reprendre le contrôle.
Après les crimes de guerre de l’armée russe, les États baltes mettent fin à leurs importations de gaz russe
Mais les soldats ukraiens ont découvert des civils abattus sommairement, dans plusieurs localités à proximité de la capitale ukrainienne, notamment dans la ville de Boutcha, où près de 300 corps ont été retrouvé dans des fosses communes. Ces crimes de guerre ont provoqué une vive réaction de l’OTAN et de pays de l’Union Européenne, dénonçant des « atrocités ».
Ce 4 avril 2022, la Lituanie a annoncé qu’elle mettait fin, en représailles, à ses importations de gaz naturel russe. Elle a été immédiatement imitée par ses voisins baltes, Lettonie et Estonie. Selon Eurostat, la Russie couvrait en 2020 93% des importations estoniennes de gaz naturel, 100% des importations lettones et 41,8% des importations lituaniennes.
En Lituanie, un terminal GNP baptisé « Indépendance »
« Nous sommes le premier État membre de l’UE parmi les pays fournisseurs de Gazprom à devenir indépendant des approvisionnements en gaz russe, et c’est le résultat d’une politique énergétique cohérente sur plusieurs années et de décisions opportunes en matière d’infrastructures », s’est félicité le ministre lituanien de l’Énergie, Dainius Kreivys.
En effet, la Lituanie s’est équipée, voici une dizaine d’années, d’un terminal de GNL au large de ses côtes, baptisé symboliquement Klaipėda (« Indépendance »). Le pays a ainsi pu progressivement réduire sa dépendance au gaz russe, en se fournissant sur les marchés internationaux de GNL.
« Rompre les liens énergétiques avec l’agresseur »
« Il y a des années, mon pays a pris des décisions qui nous permettent aujourd’hui, sans peine, de rompre les liens énergétiques avec l’agresseur. Si nous pouvons le faire, le reste de l’Europe peut le faire aussi ! », pointe le président lituanien Gitanas Nausėda. Trois cargaison de GNL supplémentaires devraient donc parvenir chaque fois sur ce terminal.
Dès le 2 avril 2022, les importations de gaz russe pour les besoins de la Lituanie, via l’interconnexion Lituanie-Biélorussie, étaient ainsi égales à 0 MWh. Ce terminal va également permettre à la Lituanie de fournir ses deux voisins baltes, Estonie et Lettonie.
La ministre allemande de la Défense veut entamer une réflexion sur un embargo sur le gaz russe
Mais ces trois pays ne représentent qu’une infime fraction des importations européennes de gaz naturel. Un embargo sur le gaz russe est-il imaginable à court terme pour toute l’Union Européenne ? La ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, a en tout cas déclaré, ce 3 avril 2022, que l’Union européenne devait débattre d’une interdiction de l’importation de gaz russe.
« Il faut qu’il y ait une réponse. De tels crimes ne peuvent pas rester sans réponse », a affirmé la ministre, défendant une ligne plus dure que son chancelier Olaf Scholz qui, s’il a réclamé de nouvelles sanctions, n’est pas allé jusque là. L’Allemagne est en effet fortement dépendante du gaz russe, avec des importations de plus de 50 milliards de m³ en 2020, soit un tiers des importations européennes (152 milliards de m³ en 2020).
L’Union Européenne valide le principe d’achats de gaz groupés
Certes, le dernier sommet européen du 25 mars 2022 a permis à l’Union Européenne d’avancer vers une indépendance énergétique à l’égard de la Russie. Le plan présenté comporte plusieurs volets, mais, selon le président français Emmanuel Macron, « le levier le plus puissant » est le mandat donné à la Commission européenne de faire des achats en commun pour peser davantage sur les négociations.
La Commission devrait ainsi réunir les différentes entités privées de l’Union passant des contrats d’achat de gaz naturel, afin d’aboutir à des acquisitions coordonnées, y compris en renégociant des contrats existants. La plateforme d’achats en commun sera par ailleurs « ouverte aux pays des Balkans occidentaux » ainsi qu’aux trois Etats liés à l’UE par des accords d’association (Moldavie, Ukraine, Géorgie). Le mécanisme ne sera pas obligatoire, les entreprises privées qui agrégeront leurs commandes devront le faire de façon volontaire.
Dans le même temps, l’Union Européenne va faciliter l’obtention de financements et d’autorisations administratives pour mettre en œuvre de nouvelles infrastructures de fourniture de gaz et de GNL.
Un accord d’approvisionnement massif avec les États-Unis
Le même jour, la président de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé la signature d’un contrat d’approvisionnement historique avec les États-Unis, en présence du président américain Joe Biden.
En 2021, les États-Unis ont livré 22 milliards de m3 de GNL à l’Union Européenne. Ils se sont engagés à augmenter leurs livraisons de 15 milliards de m³ dès cette année 2022 ; à terme, l’Oncle Sam devrait fournir 50 milliards de m³ de GNL supplémentaires par an, soit un total d’un peu plus de 70 milliards de m³.
Négociations en cours avec la Norvège, le Qatar, l’Algérie
La Commission a également indiqué être en négociation avec d’autres pays producteurs, citant nommément la Norvège, le Qatar et l’Algérie. Mais les deux premiers États, s’ils ont indiqué qu’ils étaient prêts à faire des efforts, ont aussi souligné que leurs réserves d’exportation étaient proches de leurs limites, et qu’ils pourraient difficilement augmenter fortement leurs livraisons.
Le cas de l’Algérie est plus complexe : elle a diminué ses exportations vers l’Espagne, suite à la fermeture du GME, et les tensions diplomatiques avec Madrid rendent peu probable l’hypothèse d’une hausse des livraisons avec l’Espagne. En revanche, faire fonctionner les gazoducs en direction de l’Italie à plein régime semble réaliste, surtout dans un contexte de baisse des exportations vers l’Espagne. Reste enfin la possibilité de liquéfier le gaz fossile algérien en GNL mais, en la matière, le manque d’infrastructures algériennes, et leur manque de fiabilité, pourrait constituer un verrou majeur.
En tout état de cause, une rupture à court terme avec la Russie imposerait de profonds sacrifices énergétiques à plusieurs États européens, Allemagne en tête, notamment un redémarrage de toutes les centrales à charbon disponibles, avec un impact environnemental désastreux. L’option d’un embargo reste possible, mais son coût serait considérable pour l’Union.