La guerre fait toujours rage en Ukraine, mais, malgré les sanctions économiques d’ampleur, la Russie fournit toujours (certes a minima) du gaz naturel à l’Europe, qui demeure son principal client dans le monde. Mais Moscou a aussi, dans le même temps, renforcé ses liens commerciaux avec la Chine, avec notamment l’annonce de la construction d’un nouveau gazoduc passant par la Mongolie. Pas de quoi, toutefois, compenser à court terme les exportations vers l’Europe, mais peut-être la marque d’une nouvelle tendance forte.
Frappée par les sanctions de la communauté internationale, en particulier de l’Occident et l’Union Européenne, après son invasion de l’Ukraine, la Russie voit son économie profondément fragilisée. L’Union Européenne est en effet le premier partenaire commercial de la Russie, avec 37 % de ses échanges commerciaux en 2020. Ce qui explique l’effet dévastateur des sanctions européennes sur l’économie russe (et, corrélativement, sur l’économie européenne).
Quels débouchés pour le gaz russe en cas de rupture avec l’Union Européenne ?
Pour l’heure, le secteur énergétique (pétrole et gaz naturel) n’est pas concerné par ces sanctions, Russie et Union Européenne connaissant notamment leur interdépendance sur le gaz naturel. Pourtant Moscou semble beaucoup moins effrayé que l’Union Européenne d’une potentielle rupture des exportations russes de gaz naturel vers le Vieux continent (qui représentaient, en moyenne, 13 milliards de mètres cube par mois jusqu’à l’automne 2021, ce chiffre n’ayant fait que diminuer depuis).
La Russie cherche toutefois d’autres débouchés pour son gaz naturel et ses céréales. Dans un cas comme dans l’autres, les regards se tournent vers l’Est, et en particulier vers la Chine. Moscou et Pékin entretiennent des rapports ambivalents, mais n’ont fait que se rapprocher ces dernières années, que ce soit économiquement ou politiquement.
Une amitié « sans limite » entre Chine et Russie
Symptomatiquement, Pékin n’a pas formellement condamné l’attaque de l’Ukraine, déclarant même que la Chine comprenait, contrairement à l’Occident, les préoccupations de la Russie en matière de sécurité. La Chine s’est d’ailleurs, comme l’Inde et les Emirats Arabes Unis, abstenue au conseil de sécurité de l’Onu sur la résolution condamnant la Russie pour l’envahissement militaire de l’Ukraine – malgré les appels du pied de Joe Biden pour rejoindre le camp occidental sur cette question.
Le 4 février 2022, lors d’une rencontre à Pékin, le président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping avaient d’ailleurs annoncé que leurs relations entraient dans une « nouvelle ère », celle d’une amitié « sans limite ».
Pékin et Moscou signent un méga-contrat pour un gazoduc qui reliera la Sibérie à la Mongolie et la Chine
Une amitié qui a une forte odeur de blé et d’hydrocarbures. Le jour de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, la Chine a annoncé qu’elle levait les les restrictions aux importations de blé russe. Le 1er mars 2022, Moscou et Pékin ont signé un méga-contrat pour la construction d’un gazoduc qui traversera la Mongolie et la Chine, d’une capacité de 50 milliards de mètres cube par an, équivalente à celle de Nord Stream 2, et qui devrait rentrer en service d’ici 2025.
En 2014, c’est déjà à la suite de l’annexion de la Crimée et d’une première vague de sanctions économiques occidentales que la Russie et la Chine avaient décidé la construction du gazoduc Power of Siberia, long de 4 000 km et entré en fonction en 2019.
En 2021, les exportations de gaz naturel de Russie vers la Chine représentaient 16,5 milliards de mètres cube par an (soit à peine plus que ses exportations mensuelles classiques vers l’Europe). Ce chiffre devrait doubler d’ici 2025, et pourrait bien dépasser, à terme, les 60 milliards de mètres cube par gazoduc, auxquels s’ajouteraient des livraisons par GNL.
Une diversification nécessaire, mais pas de quoi compenser les exportations vers l’Union Européenne
De quoi certes renforcer les liens économiques entre les deux pays et compenser, un peu, la possible perte du marché européen par la Russie. Mais un peu seulement. « La Chine n’est pas véritablement en concurrence avec l’Europe car les gazoducs qui vont vers elle ne puisent pas dans les mêmes champs de gaz, mais cela montre indirectement la puissance de la Russie, qui fournissait déjà du pétrole à la Chine. Ce contrat reste néanmoins relativement petit par rapport à ce que la Russie fournit à l’Europe », pointe Anna Creti, professeur d’économie à l’université de Paris Dauphine-PSL, directrice scientifique de la Chaire Économie du Gaz Naturel et de la Chaire Économie du Climat, à nos collègues de Ouest France.
Bien sûr, la Russie peut aussi augmenter ses capacités de liquéfaction du gaz naturel, voir construire à terme un gazoduc pour relier les champs gaziers livrant l’Europe à la Chine. Sur le moyen terme, la stratégie peut sembler viable, et offrir une échapatoire en cas de rupture durable avec l’Occident.
La Russie a besoin de la Chine, beaucoup plus que la Chine n’a besoin de la Russie
Renforcer les liens avec la Chine semble donc une nécessité pour la Russie de Vladimir Poutine. Pour l’heure, la Chine représente environ 15 % des exportations russes et 20 % de ses importations. Nul doute que ces chiffres vont augmenter dans les années à venir.
Pékin, de son coté, a un intérêt objectif à se rapprocher de la Russie, car elle représente un allié de poids dans la lutte d’influence avec le bloc occidental (Etats-Unis et Europe) pour le leadership mondial. Mais sans froisser non plus ses partenaires occidentaux, qui sont vitaux pour son économie : l’Union Européenne et les Etats-Unis demeurent les premiers partenaires commerciaux de la Chine, et de très loin – comparativement, la Russie n’est qu’une goutte d’eau du commerce chinois.
L’évolution de la guerre en Ukraine et de l’image mondiale de Vladimir Poutine, toujours plus dégradée, pourrait donc avoir des impacts sur les orientations politiques (et aussi économiques) de la Chine, qui ne peut pas se permettre une rupture brutale avec l’Occident.