Début décembre 2021, la Turquie a fermement condamné l’octroi, par Chypre, d’un permis d’exploration de gaz naturel dans la 5e parcelle de sa Zone économique exclusive (ZEE), au consortium ExxonMobil-Qatar Petroleumn en Méditerranée orientale. Un nouvel épisode des tensions provoquées par la découverte de gisements conséquents de gaz naturel dans ces zones maritimes à la croisée des ZEE de la Turquie, de Chypre, de la Grèce et d’Israël.
L’exploration du sous-sol de la Méditerranée Orientale, suite à la découverte de nombreux gisements de gaz naturel, continue de provoquer de profondes frictions géopolitiques, avec la Turquie en catalyseur des tensions.
En Méditerranée Occidentale, la Turquie trace ses propres frontières d’exploitation
En effet, le gaz naturel est située dans une zone située au Sud de la Turquie, à la confluence des ZEE d’Israël, de la Grèce, de Chypre, et de la Turquie. La délimitation des ces ZEE a été réalisée sans prendre en compte la République turque de Chypre du Nord, indépendante de fait, mais qui n’est reconnue que par la Turquie.
Ankara a donc régulièrement lancé des missions d’exploration dans des zones qu’elle est la seule à considérer comme faisant partie de sa ZEE, tout en critiquant fermement toute exploration, octroi de concession ou forage dans ces mêmes zones. Le pays a même été sanctionné par l’Union Européenne suite à des forages illégaux dans la ZEE de Chypre.
Israël et Chypre, partenaires économiques et militaires pour l’exploitation du gaz naturel
Située au cœur de la zone convoitée riche en gaz, la ZEE de Chypre concentre en effet le gros des tensions. En 2010, Israël et Chypre ont signé un accord maritime sur la délimitation d’une frontière maritime et le partage des ressources, assorti d’un pacte militaire. Des avions israéliens stationnent depuis sur une base chypriote, et surveillent les gisements d’hydrocarbure en Méditerranée Orientale. En cas d’attaque militaire contre Chypre, Israël aiderait son voisin.
Les bonnes relations entre Chypre et la Grèce les ont conjointement rapproché d’Israël : Tel-Aviv se pose ainsi en garant de la sécurité de l’exploitation du gaz naturel dans la zone, ce qui aiguise les tensions avec la Turquie, qui estime que la ZEE de Chypre demeure sa chasse gardée, et pousse régulièrement des explorations dans la ZEE de la Grèce – plusieurs îles grecques sont en effet situées à quelques kilomètres des côtes turques.
Présidée par l’Egypte, l’EMGF défend le droit international sur les ressources gazières
De part sa position géographique et son positionnement diplomatique (à mi-chemin entre l’Occident et le monde arabe), l’Egypte s’est également posé en médiateur sur la gestion des ressources gazières en Méditerranée Orientale. L’Egypte préside notamment le Forum du gaz de la Méditerranée orientale (EMGF), créée en janvier 2019 et devenu une organisation régionale en septembre 2020, dont la vocation est de « veiller au respect du droit international dans la gestion des ressources gazières de chacun ».
L’EMGF regroupe Chypre, l’Egypte, la Grèce, l’Italie, Israël, l’Autorité palestinienne, la Jordanie, et, depuis mars 2021, la France. Les Etats-Unis et l’Union Européenne y dispose d’un statut d’observateur permanent. Officieusement, le but de cette organisation est bien de s’unir contre la volonté hégémonique de la Turquie sur la Méditerranée Orientale.
En novembre 2019, la Turquie a notamment signé un accord avec le gouvernement d’entente nationale libyen (GNA), qui fixe une frontière maritime entre la Turquie et la Libye, en incluant dans ce périmètre certaines îles grecques du Dodécanèse. Un traité dénoncé tant par l’EMGF que par l’Union Européenne.
La Grèce, Chypre et l’Egypte réaffirment leur opposition aux positions turques
Fin octobre 2021, la Grèce, Chypre et l’Egypte, en marge de l’annonce d’un accord tripartite de transfert d’énergie électrique produite en Egypte, ont réaffirmé leur volonté de « coopération en matière d’exploration et de transfert de gaz naturel, un catalyseur pour la stabilité dans la région ».
Les trois Etats ont rappelé leur désaccord au traité entre la Turquie et le GNA : « Malheureusement, Ankara ne comprend pas les messages de l’époque et ses aspirations au détriment de ses voisins sont évidemment une menace pour la paix dans la région », regrettait le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis. « Il n’est pas possible pour les pays de la Méditerranée orientale de coopérer étroitement et d’être des pylônes de stabilité et de paix alors que la Turquie toute seule perturbe le droit international pour ses propres raisons », renchérissait, le même jour, Nicos Anastasiades, président de la république de Chypre.
« Il est peut-être crucial que nous nous efforcions tous de profiter de cet élan pour donner une impulsion parallèle au projet de construction d’un gazoduc offshore destiné à transporter le gaz naturel du champ chypriote « Aphrodite » vers les deux stations de liquéfaction égyptiennes de Damiette et d’Idku », pointait par ailleurs le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.
Plusieurs compagnies explorent ou exploitent la ZEE de Chypre
« Aphrodite » est le nom du plus important champ de gaz naturel découvert dans les eaux chypriotes, dont la concession a été accordé en 2008 à la société américaine Noble Energy. Situé au Sud-Est de la ZEE chypriotes, dans la parcelle 12, ce champ coupe la frontière maritime avec Israël. 10% du champ est ainsi situé dans la ZEE d’Israël, un accord de répartition de la ressource a été signé en 2020 par les deux pays.
Mais, si Aphrodite est bien le plus important champ découvert, d’autres compagnies explorent la ZEE de Chypre. Sa partie sud a été découpée en 12 parcelles. TotalEnergies et l’italien Eni ont obtenu une concession sur l’exploitation des parcelles 6 et 11, un consortium composé d’Eni et du coréen Kogas a obtenu les parcelles 2, 3 et 9 (cette dernière en collaboration avec le russe Novatek). Le consortium ExxonMobil-Qatar Petroleum explore déjà la parcelle 10.
Suite à une nouvelle licence d’exploitation, la Turquie accuse Chypre d’aviver les tensions en Méditerranée Orientale
Début décembre 2021, Chypre a accordé à ce consortium ExxonMobil-Qatar Petroleum un nouveau permis d’exploration dans la parcelle 5, située au Sud-Ouest de sa ZEE, contestée elle aussi par la Turquie.
Le porte-parole du ministère des Affaires Etrangères turc, Tanju Bilgic, a immédiatement réagi, en affirmant, le 3 décembre 2021, qu’une partie de cette zone de licence viole « le plateau continental de la Turquie ». Il reproche à Chypre d’avoir déclaré cette zone unilatéralement, « en ignorant les droits de notre pays et des Chypriotes turcs », et accuse donc Chypre d’être « favorable à une tension en Méditerranée orientale ».
Tensions toujours vives
« La Turquie n’autorisera jamais aucun pays, entreprise ou navire étranger à se livrer à des activités d’exploration d’hydrocarbures non autorisées dans ses zones de juridiction maritime, et continuera à défendre résolument ses droits et ceux de la République turque de Chypre du Nord », a développé Tanju Bilgic.
Ce nouvel épisode ne va pas dans le sens d’un apaisement des tensions dans la zone, et renforce la volonté de l’EMGF de défendre les droits de ses membres face aux volontés hégémoniques d’Ankara.