Ce 30 novembre 2021, le consortium gérant le projet Arctic LNG 2, gigantesque usine de gaz naturel liquéfié (GNL) en construction dans l’Arctique russe, a annoncé qu’il avait obtenu des promesses de financement international à hauteur de 9,5 milliards d’euros, auprès de banques russes et internationales, notamment asiatiques. Malgré la présence centrale de TotalEnergie dans le consortium, la France n’a pas financé le projet, ni apporté de garanties bancaires. Un effet direct de la volonté de lutter contre le changement climatique, et le symbole d’un paradigme qui devrait marquer les prochaines années : les nouveaux projets gaziers devraient recevoir très peu de soutiens financiers d’Occident.
Une gigantesque usine de GNL au cœur de l’Arctique russe serait-elle le parfait exemple du changement de paradigme dans le financement des projets gaziers dans le monde ? Pour rappel, à la COP26, un groupe de pays (dont les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne, la France ou l’Italie) ont promis qu’ils cesseraient tout financement de projets fossiles à l’étranger sans dispositif de captage du carbone, à partir de 2022.
Pour des raisons climatiques, l’Occident se détourne du financement des projets gaziers
Cette décision correspond globalement aux politiques climatiques menées en Occident, poussées par une opinion publique et des ONG particulièrement actives sur ces questions. Il faut dès lors s’attendre à ce que les futurs projets gaziers d’importance qui émergeront les prochaines années soient financés essentiellement par des capitaux russes ou asiatiques (Chine, Japon, Corée du Sud, Inde…).
Vu de France, le projet Artic LNG 2, qui prévoit la construction d’une usine de GNL dans l’Arctique russe (pour une capacité de production estimée à près de 20 millions de tonnes de GNL par an), est symbolique d’une brutale accélération de la prise en compte du climat dans les décisions de financement des énergies fossiles.
En 2020, le gouvernement français avait pourtant affirmé que la Banque Publique d’Investissement (Bpi) continuerait à soutenir les projets gaziers jusqu’en 2035. La France avait d’ailleurs prévu à l’origine d’offrir une garantie à l’export de 700 millions d’euros à Arctic LNG 2.
TotalEnergies a une participation financière de 21,6% dans Arctic LNG-2, un projet mené par le russe Novatek
Le français TotalEnergie contrôle en effet plus d’un cinquième du projet. Le consortium gérant l’exploitation de cette usine de GNL est dominé par le russe Novatek (60%), le reste étant partagé à parts égales en quatre entités : TotalEnergie donc (10%), deux groupes chinois, CNPC (China National Petroleum Corporation) et CNOOC (China National Offshore Oil Corporation), 10% chacun, et les japonais de Japan Arctic LNG, un consortium constitué de Mitsui&Co et de Jogmec, 10%.
Mais TotalEnergie possédant également 19,4% du capital de Novatek, son implication financière sur le projet est en fait de 21,6%. Historiquement, le gouvernement français a souvent soutenu les projets fossiles de Total à l’étranger, et Arctic LNG-2 semblait ne pas devoir faire exception.
Les ONG vent debout contre une garantie à l’export de la France pour Arctic LNG-2
Mais la révélation, à l’automne 2020, de ce soutien français a provoqué une levée de boucliers d’ONG environnementales. En mai 2021, une manifestation devant le Ministère des Finances s’accompagnait de la remise d’une pétition signée par 240 000 personnes s’opposant à cette garantie à l’export.
Et, de la même façon que la France a fini par signer, à la COP26, l’accord sur la fin du financement des fossiles, sous la pression de ses partenaires européens et des mouvements citoyens, le gouvernement, à un an des élections présidentielles, n’a pas voulu se donner l’image d’un défenseur des fossiles.
La France renonce à soutenir l’usine géante de GNL dans l’Arctique russe
Durant le congrès mondial de la nature de l’UICN, à Marseille, en septembre 2021, le président français Emmanuel Macron sous-entendait déjà qu’il ne soutiendrait pas le projet, en affirmant que la France « n’attendra pas les lois pour prendre toutes les mesures qu’elle peut prendre pour que rien de la biodiversité dans la région arctique ne puisse être dégradé par des projets économiques portés par des entreprises ».
Aujourd’hui, la Bpi ne figure donc pas dans le pool de banques et d’institutions qui ont promis de soutenir Artic LNG-2, preuve d’un changement de paradigme sans doute définitif. Le plan de soutien présenté par le consortium mené par Novatek est en effet cohérent avec le monde d’après la COP26.
Arctic LNG-2 : 9,5 milliards d’euros de promesses de prêts, dont 4,5 milliards de banques russes
Artic LNG-2 a ainsi obenu 9,5 milliards d’euros de promesse de prêts sur 15 ans, auprès de banques et institutions financières. Presque la moitié (4,5 milliards d’euros) provient d’un syndicat de banques russes, avec notamment Sberbank, Gazprombank et sa filiale Bank GPB International. 2,5 milliards sont apportés par des banques chinoises, dont la Banque de développement de Chine et la Banque d’exportation et d’importation de Chine.
Les 2,5 milliards restant émanent d’institutions financières de l’OCDE, dont la Banque japonaise pour la coopération internationale, mais l’accord ne nomme pas les autres. Est-ce parce que certains Etats ne veulent pas se voir associés à ce projet au moment où il fait les gros titres de l’actualité ?
Une capacité de production de 19,8 Mtpa, via trois trains de liquéfaction, à horizon 2023
Reste que ces prêts bancaires, associés aux fonds propres amenés par les membres du consortium, bouclent le financement d’Artic LNG-2, estimé à 21,3 milliards de dollars en tout. Le projet est situé en Sibérie occidentale russe, dans la péninsule de Gydan, sur l’embouchure du fleuve Ob, en face d’une première usine géante de GNL, située sur la péninsule de Yamal, et opérée, elle aussi, par Novatek, Yamal LNG.
Le projet Artic LNG-2 aura une capacité de production de 19,8 millions de tonnes par an (Mtpa). Le consortium va construire trois plates-formes gravitaires (gravity-based structures) en béton dans le golfe de l’Ob qui accueilleront chacune un train de liquéfaction d’une capacité de 6,6 Mtpa. Le premier cargo de GNL d’Arctic LNG 2 est prévu pour 2023, les deuxième et troisième trains pour 2024 et 2026.
La proximité de Yamal LNG offrira également des synergies d’infrastructure et de logistiques. TotalEnergies estime les réductions des coûts à environ 30%. Le GNL ainsi produit sera majoritairement à destination des marchés asiatiques.