Gaz naturel et nucléaire : comment l’Ukraine se libère de la tutelle russe

Depuis l’indépendance de l’Ukraine, la question énergétique traverse l’ensemble des crises entre la Russie et l’ex-république soviétique. Les deux pays entretenaient historiquement un lien de dépendance mutuelle, notamment sur le gaz naturel et le nucléaire : la hausse des tensions géopolitiques depuis le milieu des années 2000 jusqu’à l’invasion de la Crimée en 2014, la crise dans le Dombass et, maintenant, les menaces d’invasion russe, a conduit les deux ex-partenaires à se libérer de cette dépendance – la Russie par la construction des gazoducs Nord Stream 2, l’Ukraine par une politique énergétique résolument tournée vers l’Occident.

Alors qu’une forte présence militaire russe à la frontière ukrainienne fait peser la menace d’une invasion au début de l’année 2022, le Conseil Européen du 16 décembre 2021 s’est, comme attendu, conclu par une position commune de l’Union Européenne, qui a réaffirmé son soutien à l’Ukraine, au président Volodymyr Zelensky et à l’intégrité de son territoire.

Crise ukrainienne : l’Union Européenne menace à nouveau la Russie de sanctions ; l’inauguration de Nord Stream ajournée quoiqu’il arrive

Les Vingt-Sept ont réitéré leurs menaces de sanctions « très fortes » en cas d’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, sans révéler la nature concrète de ces éventuelles sanction, pour privilégier le dialogue, mais aussi, comme l’estime un diplomate, parce que “laisser l’adversaire dans l’incertitude est le meilleur moyen d’utiliser l’arme” des possibles sanctions. Le président français Emmanuel Macron a confirmé que la stratégie européenne reposait sur “une approche multiple : dissuasion, reprise du dialogue et soutien à l’Ukraine”.

En revanche, l’Allemagne n’a pas choisi de brandir la menace d’un blocage de Nord Stream 2, comme elle l’avait envisagé – et même affirmé par la voix de sa cheffe de la diplomatie Annalena Baerbock. Le nouveau chancelier Olaf Scholz s’est borné à indiquer que, comme attendu, la mise en service du gazoduc était retardé pour raisons administratives (au moins jusque mi-2022), mais sans évoquer un éventuel blocage au-delà en cas d’offensive russe en Ukraine.

Ukraine-Russie : retour sur un partenariat énergétique historique

Reste que la question énergétique, en particulier le gaz naturel mais aussi le nucléaire, illustre parfaitement l’évolution des relations entre la Russie et son ex-satellite soviétique. Après la fin de l’URSS, la Russie s’est en effet imposée comme le partenaire économique et énergétique majeur de la jeune république ukrainienne.

L’export de gaz naturel russe en Europe, qui est le point de départ de la fortune de nombreux oligarques russes, a été rendu possible par les trois gazoducs qui traversent l’Ukraine, Soyouz (qui relie le sud de l’Oural à l’Europe, sur un tracé Est / Ouest), Bratstvo (orienté Nord-Est / Ouest, qui traverse également tout l’Ukraine) et Yamal-Europe (qui traverse toute la Biélorussie avant l’Ukraine, et achemine le gaz des régions les plus septentrionales de Russie). En échange, la Russie fournissait à l’Ukraine la quasi-totalité du gaz naturel nécessaire à sa consommation domestique.

De la même façon, le programme nucléaire ukrainien, constitué exclusivement de centrales russes construites par Rosatom, dépendait de la fourniture par ce dernier d’un combustible spécifique aux dites centrales.

Changement de paradigme depuis l’annexion de la Crimée et la guerre civile dans le Dombass

Une série de conflits gaziers entre Russie et Ukraine, entre 2005 et 2009, ont ensuite provoqué des perturbations dans l’acheminement du gaz russe en Europe centrale et occidentale. Dans le même temps, la situation géopolitique entre les deux voisins ne faisait que s’envenimer. En 2005, la Russie lançait la construction d’un gazoduc contournant l’Ukraine, Nord Stream, inauguré en 2011 (Nord Stream 2, s’il entre en service, permettra de doubler la capacité de ce transit par le Nord).

En 2014, la révolution ukrainienne de février, portant au pouvoir un gouvernement pro-européen, provoque une réaction militaire russe. Moscou envahit et annexe la Crimée, un territoire ukrainien à majorité russe que la Russie avait toujours revendiqué, et soutient l’insurrection armée des pro-russes dans le Donbass, une guerre civile toujours en cours.

Dans la foulée, l’Ukraine cesse de s’approvisionner en gaz naturel russe, et signe, avec le concours de la Commission Européenne, un accord avec la Slovaquie permettant de livrer du gaz naturel en l’Ukraine depuis l’Europe. A partir de janvier 2015, l’Europe fournit donc à l’Ukraine l’intégralité du gaz naturel qu’elle consomme, tout en bénéficiant de ses infrastructures de stockage méthanier. Parallèlement, la Russie continue d’avancer sur le projet de Nord Stream 2, qui doit lui permettre d’abandonner les trois gazoducs traversant l’Ukraine pour continuer de livrer du gaz naturel à l’Europe.

L’Ukraine réduit sa dépendance au nucléaire russe

Dans le même temps, l’Ukraine travaille à réduire sa dépendance russe en matière d’énergie nucléaire. Entamé au tout début des années 2010, cette diversification lui a permis de convertir 7 de ses 15 réacteurs russes au combustible fourni par le groupe américain Westinghouse. L’Ukraine continue d’oeuvrer à la conversion des huit autres réacteurs, et travaille à constituer une chaîne locale d’enrichissement de l’uranium (l’Ukraine détient 2 % des réserves mondiales), pour renforcer son indépendance.

« Avec le recul, nous pouvons dire que ce programme était visionnaire.Aujourd’hui, l’Ukraine ne peut plus se reposer sur un engagement russe. Et même si elle dépend encore pour moitié de la Russie pour se fournir en combustible, sa stratégie de diversification se poursuivra ces prochaines années »expliquait Petro Kotin, le PDG d’Energoatom, l’exploitant nucléaire ukrainien, au World Nuclear Expo, début décembre 2021.

L’Ukraine regarde vers l’Ouest, énergétiquement et politiquement

Le 22 novembre 2022, Westinghouse et Energoatom signent un accord pour la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires AP 1000, financés par la banque américaine Exim. La mise en service est prévue en 2028. Energoatom a par ailleurs ancé les travaux préliminaires à la construction d’un troisième réacteur, financé sur fonds propre, pour une mise en service prévue dès 2025.

L’objectif de l’Ukraine est de pouvoir exporter de l’électricité vers l’Union Européenne, renforçant encore ses liens avec l’Ouest, en améliorant la sécurité énergétique de l’Europe. L’Ukraine continue de regarder avec insistance vers l’Occident, et souhaite d’ailleurs rentrer dans l’OTAN – une adhésion que la Russie refuse avec force, en faisant une « ligne rouge » de sa diplomatie.

Soutien de l’OTAN à Kiev

Et si les adhésions à l’OTAN sont toujours gelées, l’Alliance a formellement soutenu l’Ukraine, via un communiqué de presse publié le 16 décembre 2021 : « Toute nouvelle agression contre l’Ukraine aurait des conséquences massives, et le prix à payer serait élevé. (…) Nous réitérons notre soutien à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, et nous appelons la Russie à retirer ses forces du territoire ukrainien, conformément à ses obligations et engagements internationaux. Nous sommes attachés au droit de tous les pays de décider de leur avenir et de leur politique étrangère sans ingérence extérieure. La relation entre l’OTAN et l’Ukraine ne regarde que l’Ukraine et les 30 pays de l’Alliance »précise le document.

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A propos de l'auteur Ondine Marnet

Consultante RSE et spécialiste des enjeux énergétiques, Ondine Marnet est approchée par la rédaction du gaz.fr fin 2014, et se joint à l'aventure début 2015.

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